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envoyées dans toutes les directions, — dans toutes, hormis celle de Port-au-Prince, Rivière, ayant fait ce calcul très juste que des gens pu décampaient pour n’être pas fusillés avaient intérêt à mettre la plus grande distance possible entre eux et : l’endroit où l’on devait les fusiller. Or, c’est précisément cette direction-là que don Pedro avait prise, d’après ce calcul non moins juste, que le côté le moins menacé est ordinairement le plus mal gardé. Aux abords de Port-au-Prince, don Pedro et ses compagnons obliquèrent brusquement vers les mornes, et un long détour les ramena jusqu’au cœur de Seybo, où le gouvernement de Port-au-Prince jugea prudent de les oublier. On ne les oubliait pas ailleurs.

Les meneurs de la prochaine insurrection s’étaient, comme d’usage, divisés en deux partis : le parti des hommes d’organisation et le parti des bavards. Le deputé Baez était à la tête du premier, et un certain Jimenez, que nous verrons jusqu’au bout jouer un fort triste rôle, à la tête du second. Persuadé que, s’il suffit de quelques beaux discours pour faire des révolutions, il faut quelque chose de plus pour les soutenir, surtout quand en a affaire à un ennemi six fois plus nombreux et trois fois moins disséminé, Baez voulait, on l’a vu, avant d’agir, attendre la décision de la France et laisser aux Santana le temps de constituer un noyau d’armée ; mais Jimenez, impatient comme tout poltron qui se sent une fois par hasard en veine d’audace, et qui a hâte d’en trouver l’emploi, convaincu surtout que si l’insurrection dominicaine avait une armée et un général avant d’avoir un gouvernement, le pouvoir appartiendrait de droit et de fait à qui viendrait apporter le salut, Jimenez, disons-nous, s’était prononcé pour l’insurrection immédiate. Baez se rendait en toute hâte à Santodomingo pfour prévenir cette folie, lorsqu’il fut arrêté en chemin par Jimenez, qui, pour cette expédition, ne s’était pas fait suivre par moins de trois cents hommes, et qui, une fois maître du terrain, donna le signal du soulèvement. J’ai dit comment l’intervention officieuse de M. Juchereau de Saint Denis et la présence d’esprit de son chancelier sauvèrent la ville de Santo-Domingo des conséquences de ce coup de tête.

Cependant le quart d’heure de la réflexion arriva pour la coterie Jimenez. Le président Hérard-Rivière s’avançait vers Santo-Domingo à la tête d’une trentaine de mille hommes, divisés en deux corps, qui, pénétrant dans la partie espagnole, l’un par le sud, l’autre par le centre, devaient faire leur jonction à Azua, et rien n’était encore organisé pour la défense. Par bonheur, le député Pimentel, à la tête d’une poignée, de braves gens, réussit à gêner suffisamment la marche de la talonne expéditionnaire du sud pour que la colonne du centre, commandée par Hérard-Rivière, arrivât seule à Azua. Don Pedro Santana fit le reste.

Celui-ci avait été d’abord tenté, en apprenant les événemens de