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qu’une idée qu’une vertu. Dans cette chambre où il meurt, tout porte le cachet de ses bizarreries. Regardez ces livres cloués à la muraille comme les hiboux et les pattes des bêtes fauves à la porte des chasseurs : ce sont les livres tories et benthamistes ; et là-bas, dans ce coin, voyez-vous clouée également, revêtue d’une chemise de papier et entourée de flammes et de diables, comme pour un autodafé, une copie de l’Icon Basilike, le célèbre pamphlet royaliste attribué à Charles Ier, car Mackaye est calviniste et unit admirablement dans sa personne l’esprit religieux des révolutionnaires puritains et l’esprit laïque du XVIIIe siècle ? Dans cette chambre, il s’est assis de longues années, lisant ses livres favoris, Burns, Milton, Carlyle, et fumant du soir au matin, parce que disait-il, « l’habitude de fumer éveille la pensée et éteint les désirs de la chair. » Ce caractère est tout simplement une des meilleures et des plus originales créations de la littérature anglaise moderne.

Le troisième caractère d’Alton Locke est John Crossthwaite, l’ouvrier chartiste, le compagnon d’atelier d’Alton. C’est un caractère moins saisissant, moins original que celui de Mackaye, mais qui, pour être saisi, exigeait tout autant de pénétration. L’auteur d’Alton Locke a montré dans ce personnage une grande connaissance des mœurs politiques du peuple et du caractère des ouvriers des grandes villes modernes. Crossthwaite est né, pour ainsi dire, dans les ténèbres ; aussitôt que son intelligence s’est éveillée, elle n’a trouvé d’autre aliment que l’ignorance ; toute sa vie est un perpétuel dialogue entre deux négations ; lorsque l’une interroge, l’autre répète la question sans y répondre. Au milieu de cette nuit épaisse qui l’environne, il a demandé la lumière, et comme elle n’est pas venue, sa vie s’est changée en un supplice affreux : c’est un homme aux prises dans la nuit avec des ennemis imaginaires, grinçant des dents dans les ténèbres, et qui ainsi a trouvé dans ce monde une image anticipée de l’enfer. Il a essayé de sortir de l’abîme, et la précipitation qu’il a mise à vouloir en sortir l’a toujours fait retomber au fond. Il a désiré la lumière, et il saisit toutes les lueurs qu’il rencontre, mais, avec tant d’impatience qu’il les éteint aussitôt. Il a cherché la science, et il se précipite comme un loup affamé sur tous les débris et tous les détritus de systèmes et de doctrines qu’il rencontre et cette science putréfié l’étrangle et porte en lui les germes de la peste et de la mort. Aussi, honnête et généreux au fond, il a acquis par degrés une férocité et une méchanceté extérieures qui proviennent de ses tourmens fiévreux et de ses plaies intérieures continuellement saignantes C’est pourquoi il est en même temps douteur et crédule, il se défie de tout le monde et il croit à tout le monde. Pauvre Crossthwaite, combien tes frères sont nombreux !

Alton, nous l’ayons vu, a trouvé un refuge chez le vieux Mackaye,