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mais son scepticisme n’a rien d’impie ; ses sarcasmes lui servent à dérouter les sophismes. Il n’a rien de la phraséologie moderne, rien de nos incohérentes aspirations, et son scepticisme lui sert à se préserver des dangereuses nouveautés du jour, comme il lui a servi jadis à se défendre contre les vieilleries du passé. Espèce de Socrate révolutionnaire, il enveloppe ses chauds sentimens dans d’humoristiques railleries et ses pensées religieuses dans de brusques sarcasmes.

Un jour qu’il assiste au sermon d’un prédicateur américain et qu’il s’aperçoit qu’Alton et Crossthwaite se sont laissé prendre à l’éloquence bizarre de ce protestant dégénéré, Mackaye met le doigt sans hésiter sur la plaie secrète de certaines doctrines, si peu accessibles heureusement aux intelligences vulgaires, malgré leurs apparences de simplicité. « Un plus maudit aristocrate que ce prédicateur, dit-il, je n’en ai jamais rencontré. Ne voyez-vous donc pas que tout pauvre diable qui n’aura pas assez de cervelle dans la tête pour le comprendre sera laissé à son ignorance, à ses superstitions, à ses appétits charnels, tandis que le petit nombre d’hommes de génie ou qui s’imaginent posséder le génie auront le monopole de cette philosophie, et que cette petite bande d’illuminés, de carbonari, continueront à mettre en bouteille, pour leur usage particulier, le clair de lune de leurs mystères samothraciens ? Et puis, lorsque tout cela sera passé, j’en reviendrai à mon catéchisme, et je recommencerai à réciter l’histoire de celui qui naquit de la vierge Marie et qui souffrit sous Ponce-Pilate. Eh ! mes enfans, ce ne sont pas là des subjectifs et des objectifs, ce ne sont pas là de creuses et pauvres abstractions, mais un fait simple et grand, qui nous dit que Dieu est venu jeter un regard de miséricorde sur les pauvres gens, au lieu d’attendre que les pauvres diables jetassent les yeux sur lui. Une belle place pour le considérer, que la rue, entre les gouttières et les cabarets ! » Le prédicateur avait mis en doute l’existence du mal, et Mackaye répond humoristiquement : « Et ainsi donc le diable est mort, il est mort enfin, et mourir, en se voyant si mal compris ! Pauvre vieux Nick, grand politique incompris, chacun avait l’habitude de lui jeter ses péchés sur le dos… Mais ce n’est pas vrai, il n’est mort qu’en apparence, il ressuscitera comme Jean Grain-d’Orge, qu’on mit en terre en automne. Quand le printemps fut venu, comme dit Burns, et que les ondées commencèrent à tomber, Jean Grain-d’Orge parut soudain et tristement les surprit tous. » Comme le vieil Écossais est beau encore à son lit de mort, lorsqu’il apprend que les hommes de la force physique, physical men, l’ont emporté dans le parti chartiste sur les hommes expérimentés, lorsqu’on lui annonce que l’usage du vitriol, du verre et des piques a été recommandé, qu’on a prêché l’incendie et qu’on a élevé le pillage à la hauteur d’une idée politique ! Alors sa fureur ne connaît plus de bornes. — Monsieur Mackaye, dit