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la religion, ne sont pas des abstractions et des formules, mais des faits, qui ne peuvent par conséquent être niés, dont l’existence ne peut être mise en doute. Le socialisme peut-il avoir prise, sur le caractère du peuple anglais, ou plutôt pourra-t-il jamais accomplir ce miracle, faire croire les Anglais à la toute-puissance des abstractions et les rendre aveugles à l’endroit des faits ? Plusieurs essais ont été déjà tentés, mais ces essais mêmes révèlent à leur insu l’amour des tendances, pratiques et affirment pour ainsi dire ce qu’ils s’étaient chargés de nier. Qu’est-ce que le chartisme, par exemple, malgré ses fureurs, malgré ses tendances subversives et son communisme, sinon une revendication violente des droits politiques et des avantages moraux du self government ?

Aussi n’avons-nous pas été peu surpris lorsque récemment nous avons entendu parler de l’apparition du socialisme en Angleterre. Le socialisme était déjà représenté en Angleterre par nos réfugiés politiques, mais que pouvait être le socialisme anglais ? Désireux de savoir à quoi nous en tenir sur ce socialisme auctochthone, nous avons lu ce livre singulier et curieux qui a nom Alton Locke. Que les Anglais se rassurent, le socialisme est tout autre chose. Nous avons trouvé dans ce livre non-seulement les idées les plus contraires aux idées du socialisme, mais encore la méthode contraire au socialisme. Au lieu de procéder par déduction ; par formules à priori, Alton Locke procède par analyse, par induction, par description, comme il convient de le faire dans la patrie de lord Bacon. Au lieu d’un système tout d’une pièce et d’une hermétique panacée, nous avons dans Alton Locke une enquêtesur les souffrances populaires, une enquête extra-parlementaire, faite par un simple citoyen anglais, au lieu d’être faite par un membre des communes, et voilà tout ; mais, avant d’analyser ce livre curieux et si remarquable par détails, il convient de rechercher les chances de succès que le socialisme peut trouver en Angleterre, il faut voir si le caractère anglais, la religion et les institutions de la Grande-Bretagne ne lui opposent pas une infranchissable barrière.

Le socialisme peut être défini, dans un certain sens l’excès de la sociabilité, l’abus de l’expansion. Les Anglais pèchent plutôt par les défauts contraires : par ses qualités comme par ses vices, le peuple anglais est anti-socialiste. Le socialisme établit une sorte de fraternité civile fondée sur un code et non pas sur les instincts sympathiques de l’homme ; sa fraternité et sa solidarité, n’ont rien de religieux, et sont plutôt une sorte de camaraderie et de compagnonnage copiée sur la politesse mondaine, sur les relations faciles, libres et même légèrement triviales de la société contemporaine. Les socialistes grossissent le sans-gêne des mœurs modernes, et ils nous présentent cette image comme étant l’idéal des sentimens, humains. Or, rien de tout cela