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flotte, un refuge où puissent s’abriter ses frégates en croisière. Qu’était Cherbourg ? Une anse où tous les vents du septentrion roulaient des masses, d’eau chargées de sable, de galets, et de débris des navires qui s’y étaient imprudemment aventurés[1]. En avant du croissant qui forme ta baie, on reconnut à 25 mètres sous l’eau un banc de sable, sorte de rudiment d’une barre sous-marine. Un esprit audacieux proposa d’y fonder une muraille de rochers amoncelés, qui, s’élevant au-dessus de la mer, arrêtassent tout court les plus monstrueuses vagues. Renversée vingt fois, mais toujours reprise avec un nouveau courage, malgré la mer qui souvent balayait comme des grains de sable les plus grosses roches, emportant en une nuit le travail d’une année tout entière, la digue de Cherbourg fut construite. Aujourd’hui ; dans les plus fortes tourmentes, on voit encore comme autrefois les lames du large arriver semblables à des montagnes mugissantes. À leur choc, la digue frémit dans toute sa longueur ; la crête des vagues culmine sur le couronnement du mur et va retomber en cascades de l’autre côté. Au milieu de ce désordre des élémens, malgré la bise qui hurle dans la mâture, malgré l’écume qu’elle éparpille au loin et dont elle couvre la mer comme d’un voile argenté, les vaisseaux dans la rade n’éprouvent que les bercemens d’une longue et molle ondulation. Les légions de Rome n’ont pas laissé dans les Gaules la trace d’un plus gigantesque ouvrage. Voici près de soixante-dix ans que l’œuvre de Cherbourg se poursuit ; nous y avons enfoui déjà plus de 70 millions de francs ; il nous en coûtera 80 pour tout achever. Tant de persévérance révèle assez le prix qu’y attache la France. Cherbourg, en face des rivages de l’Angleterre, est une menace et presque un défi. Il semble ici que les échos du combat de la Hougue retentissent encoure à travers les siècles pour soutenir nos efforts.

On a conquis la rade en amoncelant des rochers et en faisant reculer la mer c’est dans le roc vif qu’il faut creuser le port. Qui ne connaît les célèbres bassins à flot d’Anvers. ? Ce qu’on a fait dans les alluvions de l’Escaut, nous le répétons à Cherbourg sur la côte pierreuse du Cotentin. Déjà l’avant-port et un grand bassin à flot sont terminés ; les fouilles d’un autre bassin à flot avancent. Dans l’avant-port, on a taillé un bassin de carénage, et, sur la berge, élevé quatre cales de construction ; trois autres bassins de carénage s’ouvriront dans le second bassin à flot, et cinq grandes cales de construction en couvriront les bords.

  1. « La commission chargée en 1639, par le cardinal de Richelieu, de rechercher sur les côtes de Picardie et de Normandie un lieu propre à l’établissement d’un port pour les vaisseaux du roi » s’était prononcée catégoriquement contre toute idée d’établissement à Cherbourg. Il est curieux de voir comment elle s’exprime : « Le havre de Cherbourg ne valant rien et la côte dangereuse, la rade est fort inutile, si ce n’était en une nécessité. »