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indiquée à l’une de ses extrémités pour l’écoulement des eaux. L’art de l’homme n’aurait pas mieux réussi à préparer cette fosse d’immersion capable de renfermer 40, 000 stères de bois de chêne.

Sous l’empire exclusif de la navigation à voiles, une flotte entière se füt armée à Brest. Que s’il lui manquait quelque chose pour les constructions, Lorient, sa succursale, lui servait de complément. Le bramement politique de 1840 imposa soudain de nouvelles conditions ; on voulut à tout prix mettre nos ports, et particulièrement ceux de l’Atlantique, en état de construire et d’armer promptement une flotte de bâtimens à vapeur ; mais l’espace manquait. À l’arsenal à voiles de Brest, on n’hésita pas à superposer, pour ainsi dire, un arsenal à vapeur. N’est-ce pas une fatalité de ce port de n’inspirer et de n’admettre que des constructions monumentales ? Au premier coup d’œil jeté de la mer, on ne peut se défendre d’une sorte de saisissement en face de ce cirque d’édifices échelonnés en amphithéâtre sur les flancs et jusqu’aux crêtes du double roc qui encaisse la rivière. L’effet est grand et solennel ; on dirait qu’on a voulu bâtir sur la Penfeld une ville éternelle. Celtique ou romaine, la vieille tour de César, qu’on voit à l’entrée du port, semble être restée debout pour témoigner que tous les âges ont subi, sur cette côte brumeuse secouée par les tempêtes, la nécessité de donner aux édifices des formes colossales. Malheureusement le génie moderne, essentiellement progressif, se trouve mal à l’aise dans ces pierres, amoncelées. Si la nature est vaincue, l’industrie paie chèrement cette victoire de l’art. Pour fonder les établissemens à vapeur de Brest, on ne trouve rien de mieux (qu’on nous passe l’expression) que de les mettre dans les airs, sur le plateau des Capucins, à 70 pieds au-dessus du quai de la rivière. Les forges étaient au pied de ce rocher, il fallait en profiter ; si l’on eût voulu niveler le terrain, on aurait du faire sauter 3 hectares de roc vif sur 23 mètres de hauteur ; le temps, pressait, la France était impatiente ; on plaça tout au sommet, ateliers de fonderie, de chaudronnerie, d’ajustage et montage, jusqu’aux fourneaux, étuves et fours à coke. Ces conceptions dignes de Sémiramis en entraînent d’autres : pour porter aux ateliers les matériaux de leur travail quotidien, il faudra construire un viaduc qui, franchissant le quai par une voûte, aille porter, de niveau avec le plateau, une grue à l’aplomb de laquelle les bateaux à vapeur puissent communiquer, avec les, ateliers par une voie aérienne. Que l’esprit ne s’effarouche pas trop pourtant à l’aspect monumental de ces constructions : c’est surtout la belle ordonnance du plan qui en fait l’apparat et le luxe, c’est œuvre d’ingénieur, pour cela l’état ne paie rien. À Brest, les constructions en moellons sont moins chères que celles en planches, en même temps qu’elles rassurent contre les dangers du feu et contre les vents d’orage qui balaient le plateau. Si le génie de l’industrie