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une couche de limon humide les enveloppe et les préserve. Tel est le succès de ce procédé, qu’on trouve parfois dans les fosses d’immersion des pièces qui datent de 1784, et qui n’ont pas subi la moindre altération. Brest possède deux de ces dépôts : l’un au fond de la rivière de la Penfeld, où l’on puise les bois dont l’arsenal a journellement besoin ; l’autre, dans l’anse de Kerhuon, qui ne s’ouvre que quand la Penfeld fait défaut, le premier pouvant facilement renfermer 30,000 stères de bois de chêne, et le second, dont la superficie est de 48 hectares, pouvant en contenir 50,000 stères sans compter environ 24,000 pièces de mâture. C’est vraiment un spectacle magnifique que la mise à sec de cet immense dépôt de bois accumulé par une patriotique prévoyance et aménagé avec un soin dévoué. Nulle ame française ne saurait y rester indifférente. Parfois, en remuant la vase, on soulève des pièces du règne de Louis XVI. Tous les morceaux sont rangés par étages, sur trois plans superposés, le sapin en dessous comme le plus léger, le chêne par-dessus ; chaque espèce a sa subdivision à part, son parquet, déterminé par des pieux de 6 à 8 mètres de long, fichés en terre et portant des coches en divers points de leur hauteur pour retenir les bois à l’aide de traverses ou clés. Un registre, tenu avec une exactitude rigoureuse, conserve l’historique de tous les parquets ; là se trouvent et l’origine de chaque pièce, et la date de sa réception, et ses dimensions, sa forme, ses qualités et ses vices. C’est au moyen d’écluses qu’on y fait entrer l’eau de la mer et qu’on l’en fait sortir à la marée.

Ces dépôts seraient loin toutefois de suffire à l’approvisionnement d’une flotte telle que la veut la France. Le gouvernement de juillet avait projeté de les compléter par une nouvelle fosse d’immersion, ménagée dans un pli de la rade de Brest, et qu’on nomme l’anse de Lauberlach[1]. L’anse de Lauberlach’ est un vallon sinueux, resserré entre deux petites chaînes de collines, comme entre deux parois. De la grève au fond du vallon, le sol n’a qu’une déclivité insensible : chaque jour le flux et le reflux le couvrent et le découvrent deux fois par un mouvement alternatif, déroulant une nappe d’eau de 28 à 30 hectares de superficie. Huit petits ruisseaux l’alimentent d’eau douce, et l’anse est naturellement fermée à la gorge par une barre de galets, produite, comme toutes les barres, du choc des flots, et que les gens du pays nomment seyon. Ce seyon est vraiment un jeu merveilleux de la nature ; il forme une digue parfaitement tracée, s’élevant à la hauteur des plus fortes eaux ; on pourrait la rendre étanche à peu de frais, en y coulant une tranche de béton. L’écluse même s’y trouve

  1. La restauration avait à Rostelec un troisième dépôt qu’on a supprimé.