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mis le pied dans le port, on voit, rangés sur les quais, de vastes amas d’ancres et de canons et des pyramides de boulets ; en arrière-plan s’étend la corderie, qu’on pourrait développer jusqu’à fabriquer par an 1,200,000 kilogr. de fil carret et de cordages plus forts et moins volumineux que ceux des étrangers, en un mot de quoi fournir à la consommation de tous nos ports de l’Océan. Il sort du port chaque année, pour les besoins de la flotte, environ 400,000 mètres de toile à voile, et les magasins en pourraient contenir plus d’un million[1], tout en laissant encore assez d’espace pour loger aisément 2 millions de kilogr. de fer ; en outre, les établissemens de l’artillerie sont complets. Ce qui est surtout admirable à Brest, ce sont les magasins sous-marins pour les bois de construction et de mâture. La question des bois est sans contredit la plus grosse de tout le matériel naval ; il ne s’agit de rien moins que d’une dépense annuelle de 6 à 8 millions de francs, et il faut en outre un vaste approvisionnement de prévoyance ; nulle puissance navale n’est possible aujourd’hui sans cela. Sous ce climat de Brest si destructeur, les bois entassés à l’air libre périraient promptement : par bonheur on a trouvé qu’ils se conservent dans un mélange d’eau douce et d’eau salée, également mortel aux vers de la mer et aux vers des ruisseaux. Sans doute on ne les guérit pas des maladies qu’ils apportent en naissant, ni de la grisette, ni de la roulure, ni des autres vices qui les rendent impropres à la construction ; mais par ce moyen du moins on les soustrait aux influences pernicieuses de l’atmosphère. On les plonge dans des fosses d’immersion qu’on met, a sec tous les deux mois au plus tard, pour les besoins du service ; ils restent : alors découverts pendant huit jours sans inconvénient ;

  1. Les Anglais pensent que l’approvisionnement en chanvre doit être de trois années, attendu qu’ils s’en procurent avec peine et qu’ils le conservent aisément. À Brest, nos ingénieurs sont d’avis qu’il ne faut de provision que pour un an, parce que le chanvre s’altère vite, et que d’ailleurs le marché national répond à nos besoins. Les Anglais regardent l’approvisionnement en gréemens confectionnés comme de première importance ; cette règle n’est point celle de nos arsenaux.