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dans l’enceinte du port, il y a de l’autre côté de la baie, dans la rade de Lanveoc, un lieu bien abrité où l’on pourrait mouiller en ligne les vaisseaux désarmés, comme dans l’établissement que les Anglais ont sur la Medway. Aux flancs de la montagne sont adossées les cales de construction, établissement fondamental de tout arsenal maritime. Dès qu’un navire est à la mer, il subit les conditions d’une décomposition rapide ; la vague le tord et le brise. Abandonnez à lui-même dans le calme du port le plus beau vaisseau neuf, en moins de dix ans il tombera, en pourriture, s’entr’ouvrira et coulera sur place. Est-il un pêcheur qui l’ignore, quand le soir, au retour d’une journée pénible, il hâle sur la grève son bateau pour le soustraire à l’action des flots ? Venise conservait sa flotte de galères sous des cales voûtées. Le vaisseau moderne, devenu trop lourd pour être ainsi tiré à terre, une fois lancé à l’eau dut y rester ou n’en sortir qu’en débris. Pour le réparer, on inventa le bassin de carénage, ou la mer, en se retirant, le laisse doucement à sec ; mais quel état est assez riche pour songer à conserver ainsi ses escadres ? Heureusement ce qui semblait presque impossible à nos pères, le halage à terre d’un grand bâtiment, n’est plus qu’un jeu pour nous. Qu’on se figure un vaisseau à trois ponts, une masse de 2,500 tonneaux (2,500,000 kilogr.), montant, tranquillement posé sur son berceau, la même cale de construction d’où il a été lancé à la mer : voilà ce que nous faisons aujourd’hui à l’aide de câbles-chaînes enroulés autour de quelques cabestans, car la cale de halage n’est que la cale de construction munie d’un puissant appareil de traction.

À Toulon déjà, cette opération se fait avec un succès remarquable ; nous pourrions même prévoir le jour où nos flottes désarmées seraient rangées sur le rivage de nos ports aussi facilement que ces flottes de l’antiquité qu’un équipage de rameurs suffisait pour haler à la plage. Ici les chiffres ont une haute éloquence ; l’entretien d’un vaisseau à la mer est dix fois plus cher que sur chantier : dans le premier cas, la dépense est de 30 à 40,000 francs par an ; dans le second, de 3 à 4,000 au plus ; mais le halage sur cale d’une pareille masse n’a pas lieu sans que les liaisons subissent un peu d’altération : de là pour nous le de voir de ne pas nous arrêter à ce moyen de conserver les flottes. L’expérience des derniers temps prononce que, pour prolonger la durée des vaisseaux, il est mieux de les maintenir sur chantier en les poussant au plus grand degré d’avancement possible, de ne mettre à l’eau que le nombre indiqué par les prévisions de la politique, et d’user ceux qui sont à la mer jusqu’à ce que la prudence les ait déclarés hors de service. Nous possédons déjà soixante-cinq cales de construction ; quatre-vingts suffiraient pour la flotte, composée, comme nous l’indiquerons, selon le vœu de la France.