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eût livré le combat d’Aboukir pour protéger le débarquement de Bonaparte et de son armée et qu’il eût été vaincu, c’était la chance des armes ; nais, lorsque l’armée française avait atteint son but en prenant pied sur la terre d’Égypte d’une manière presque inespérée, s’en aller dans la rade foraine d’Aboukir livrer l’escadre à la discrétion d’un ennemi acharné et pour qui vaincre était une nécessité, — il y a là un aveuglement que la mort même la plus dévouée n’effacera jamais : faut-il que, Nelson n’ait eu affaire qu’à un si confiant adversaire ! Si Villeneuve, en 1805, eût risqué ses trente-deux vaisseaux dans la Manche, quand Napoléon, au camp de Boulogne, n’attendait plus pour passer qu’un jour de mer libre, les débris mêmes de notre flotte eussent peut-être servi de boulevard aux soldats de Marengo pour débarquer au rivage ennemi ; mais quand notre armée marchait au cœur de l’Allemagne, sortir de Cadix sans but, sans résultat possible, à peu près sous l’impression qui domine le bœuf qu’on traîne à l’abattoir, ce n’était là qu’une pensée folle, et il n’était pas besoin du grand nom de Nelson pour exterminer à Trafalgar la flotte conduite par Villeneuve.

C’est à la vapeur que la guerre navale doit l’importance soudaine de son troisième mode d’action, le débarquement. L’expédition de Rome nous a montré que le transport de l’armée n’est plus qu’un jeu pour nous flotte. Aujourd’hui, le passage de la Manche offre peut-être moins de difficultés à une armée que le passage du Rhin. Les conditions de la guerre maritime sont changées surtout entre nations peu éloignées l’une de l’autre ; il y a là pour tout officier de mer un sujet de méditations profondes. Quant à l’état, son devoir est d’assurer à la marine cet instrument de nos prochains combats.

On est à l’aise maintenant pour examiner à quelles conditions la Franc peut créer un établissement maritime plus durable que ceux qui l’ont précédé. Guerre de course, guerre d’escadres, guerre de débarquement, il convient de choisir selon les circonstances et l’instinct du pays. Notre devoir est de tenir nos arsenaux prêts à toute éventualité. Les conditions de grandeur d’un arsenal maritime ne sont pas les mêmes, il faut le dire tout de suite, pour le port de commerce et pour le port de guerre. Pour l’arsenal de guerre, une position dominante sur les mers, un abord facile aux vaisseaux désemparés par les élémens et le combat ou chassés par un ennemi supérieur, de nombreux moyens de défense, un abri sûr pour les flottes, de l’espace pour les constructions et les magasins, voilà les élémens de premier ordre ; l’économie ne vient qu’ensuite, et ensuite aussi la commodité des communications avec l’intérieur du pays. C’est tout le contraire pour les ports de commerce ; il faut qu’ils soient placés au déversoir des plus riches produits de la contrée, que le négociant et ses marchandises