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dans l’Inde la puissance anglaise, et malheureusement tourner le plus souvent à la parade. Sans but bien défini sous la république et dans les premiers jours de l’empire, elle aboutit au désastre. L’heure est-elle venue : pour nous d’y renoncer ? Mais la Russie est hors des atteintes de la guerre de course, tandis qu’elle a deux flottes, l’une dans la mer du Nord, l’autre dans la mer Noire : est-il besoin d’une suprême intelligence pour comprendre ce qu’une telle attitude nous impose ? Et s’il éclatait un conflit entre la France et les États-Unis, ne nous faudrait-il pas envoyer des escadres croiser sur leurs côtes ? Nous ne pouvons faire moins que de nous tenir en mesure, dans ces deux cas, de combattre à armes supérieures ou tout au moins égales.

Et contre l’Angleterre, une guerre d’escadres ne serait-elle donc point à tenter ? Dès aujourd’hui la Grande-Bretagne peut armer une flotte de 66 vaisseaux de ligne, faire sortir de ses ports plus de 150,000 matelots et une force à vapeur de 90,000 chevaux. Nous ajouterons que ce n’est point une simple apparence, et que le sentiment national n’a rien épargné, dans les ports et les arsenaux, pour assurer à la marine anglaise les plus énergiques moyens d’action. Nous comprenons l’orgueil britannique qui mettait dans la bouche d’un ministre ces mots sur la marine de France : « Nous effacerons cela d’un coup de balai (wee will sweep all that !) ; » mais faudrait-il nous laisser écraser ? Ne devons-nous pas nous tenir en mesure de livrer au moins une bataille navale, ne fût-ce que pour ravitailler nos possessions de l’Algérie ? Et si nous avions des alliés, cette puissance, obligée de s’éparpiller sur tout le globe, n’aurait plus des étreintes si redoutables. D’ailleurs, que risquerions-nous dans une guerre contre l’Angleterre seule ? Quelques vaisseaux, quelques régimens, quelques misérables colonies. Et en la menaçant d’une invasion, nous la faisons trembler pour son existence même. Ce danger est réel : il suffirait d’un jour et d’un amiral au cœur audacieux, pour le révéler à l’Angleterre. Napoléon eut bien le sentiment de cette situation ; malheureusement l’homme lui manqua. Même contre l’Angleterre, la France ne doit pas encore renoncer à ses flottes ; mais que nos marins cessent de se présenter en paladins de la domination des mers : plus d’escadres de parade, la victoire resterait aux plus nombreux vaisseaux. Il faut donner un but utile à la guerre maritime. Ici l’histoire peut nous instruire. Quand Louis XIV n’imposa plus qu’une vaine représentation à son escadre, elle alla se briser aux rochers de la Hougue, sans que Tourville trouvât d’autre consolation que ces mémorables paroles : « Le roi, messieurs, nous ordonne de nous faire tuer pour son service. » Les flottes de Louis XVI, heureuses tant qu’elles appuyèrent une politique, sérieuse, la séparation des États-Unis de l’Angleterre, virent périr leur fortune dans l’inutile combat des Saintes, le 12 avril 1782. Plus près de notre temps, si Brueys