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la rivale des plus puissantes nations maritimes, il faut donner au gouvernement le moyen de saisir, de réunir au premier appel toute force navale, c’est-à-dire la population du littoral, d’en tendre à la fois tous les ressorts : c’est ce que fit Colbert. L’inscription maritime a résisté à l’épreuve des siècles et des révolutions les plus radicales : régime d’exception sans doute, mais c’est l’orgueil de la France qui se l’impose. Plus, on médite sur cette admirable : institution, sur le mélange de privilèges, de rigueurs et d’avantages spéciaux qu’elle consacre, plus on reste frappé du génie qui l’inspira[1]. — Quant aux arsenaux maritimes, la nature des choses fit adopter tout d’abord la distinction fondamentale entre les ports de la Méditerranée et ceux de l’Océan ; aloi aussi où distinguait la marine du Levant de la marine du Ponant, la flotte des galères de la flotte à voiles. De là deux grands centres d’opérations : l’un, Toulon, qui réunit à la fois, par une heureuse disposition des lieux et du climat, toutes les conditions de port de construction de radoub et d’armement ; l’autre, Brest, port d’armement surtout ; conçus également tous deux dans l’orgueil de Louis XIV, dont ils ont gardé partout l’empreinte, et dont la pensée jusqu’à nos jours est restée l’ame de notre marine. Pour appuyer Brest, il créa Rochefort de toutes pièces, et se servit, pour les expéditions de ses corsaires, pour sa petite marine, des ports secondaires de Dunkerque, du Havre, de Saint-Malo, de La Rochelle. Louis XIV aspirait à dominer sur les mers comme sur le continent, pendant quinze ans, il eut 85 ou 90 vaisseaux de ligne armés, et près de 85,000 matelots sous les drapeaux. Qu’en advint-il ? Nous portâmes de rudes coups à la marine d’Espagne et à celle de Hollande ; mais l’Angleterre resta maîtresse du champ, de bataille ; puis les débris de ces flottes disparurent sous le cardinal Dubois, et, sous le cardinal de Fleury, le souvenir à peine en resta.

Appuyée sur les institutions de Colbert, la marine, sous Louis XVI, sortit du néant où l’avait laissée Louis XV, et jeta le même éclat que sous Louis XIV ; elle compta 80 vaisseaux de ligne tout, armés. Son but était l’abaissement de la puissance anglaise ; son mode d’action, la lutte sur toutes les mers contre les escadres de l’Angleterre. Nous avions alors un quatrième port de guerre, Lorient, et la fondation de la digue de Cherbourg date de cette époque (1782). Cette marine si brillante périt sous

  1. Avant 1665, quand on avait besoin de matelots pour une guerre maritime, « on fermait les ports, on interrompait le commerce. » Pour remédier à cet inconvénient et s’assurer des matelots ; on statua et ordonna « l’enrôlement général des matelots du royaume, partagés en trois classes ou années, dont ils devaient servir de trois l’une sur les vaisseaux du roi. » On chercha ensuite, par des privilèges spéciaux, à donner un peu d’adoucissement aux charges extraordinaires que ce régime exceptionnel faisait peser sur la population maritime.