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poupe, ou sa proue ; il se rit des calmes et du vent qui le bat en côte ; il peut absorber partout et roder partout l’invasion. L’armée de terre reprend pied sur la flotte.

Dans les espérances nouvelles qui s’éveillent et dans les efforts que font tous les peuples pour s’approprier ce nouvel instrument des batailles, nous retrouvons le trait distinctif de chaque nation : suivant l’instinct soldatesque de la France, l’avenir de la marine réside surtout dans le bâtiment à vapeur chargé de soldats aguerris et portant la guerre sur le sol de l’ennemi ; notre vœu secret serait de ramener le combat naval aux élémens de la guerre de terre. Les aspirations du marin anglais lui montrent cet avenir dans le vaisseau mixte ; dont il veut faire le roi des mers, décidant au milieu de l’océan des destins du monde. Quel amiral inspiré au feu saura démêler le meilleur emploi de tous ces moyens de destruction ? Il nous suffira d’établir ici que, dans les éventualités d’une lutte maritime l’armée navale, dépositaire des destinées d’un pays comme le nôtre, nous voulons dire assez forte pour résoudre d’un seul coup, un conflit de nations, doit se composer d’une flotte de vingt ou vingt-cinq vaisseaux de ligne, en partie mixtes, en partie simples voiliers, et de bâtimens à vapeur assez nombreux et assez puissans pour jeter un corps de troupes expéditionnaires sur les rivages de l’ennemi.

On va voir si les bases de l’établissement naval légué par la monarchie à la république répondent à cette aspiration de l’orgueil national. — La marine de France, on le sait, est sortie, comme d’un seul jet, des conseils de Louis XIV. À cette époque, l’Espagne, le Portugal, la Hollande, l’Angleterre, se partageaient le monde maritime. Le grand roi voulut y apparaître au premier rang ; ce que la France était sur le continent, il voulut qu’elle le fût dans l’océan, et plus tard, quand la fortune l’eut enivré, il prétendit même que tout pavillon s’abaissât devant le sien. Pour arriver là, il semblait qu’il fallût un miracle, car la France, alors sans commerce extérieur, sans armées navales, sans colonies, était la plus humble des nations maritimes. Colbert, son ministre ; lui donna tout cela.

Trois élémens constituent l’établissement naval : les vaisseaux, les matelots, -les ports. — Les vaisseaux, qu’est-ce autre chose sous une bonne administration qu’une question d’argent ? On sait avec quelle habileté Colbert fit trouver de l’argent à son maître, et le gouvernement constitutionnel nous a montré comment l’ordre et la paix le font affluer au budget - Les matelots, ces hommes de mer que la mer seule façonne, Colbert, par l’institution des classes, en mit à la disposition du roi une armée de 50,000 valides et toujours prêts à monter ses vaisseaux. La marine en France ne repose pas sur les intérêts primordiaux du pays ; pour faire, à un instant précis, de notre nation