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voulons être en mesure de jeter la chance d’une bataille navale décisive, ou débarquer à l’improviste un corps d’armée sur la côte ennemie. L’instinct de la nation nous fait un devoir de maintenir notre marine au niveau d’un tel rôle, et si le sentiment de ce devoir venait à s’effacer ou à s’obscurcir devant des considérations secondaires de budget, ce serait là un douloureux mécompte que nous subirions en silence, mais avec la pensée amère que jamais dynastie ni gouvernement ne poussa de racines dans notre pays sans donner satisfaction au légitime orgueil de la France.

Qu’est-ce d’abord qu’une armée navale ? Il importe ici de s’entendre. Autre chose était l’armée navale au siècle d’Auguste, autre chose celle de Napoléon, autre chose doit être l’armée navale de 1851. Du temps que la galère, armée de son éperon comme d’une corne de fer constituait l’instrument unique du combat maritime, phalanges et légions s’embarquaient par centuries sur le vaisseau de guerre ; les flottes formaient la même ligne de bataille que les troupes à terre ; il y avait l’aile droite, l’aile gauche, le centre ; on forçait de rames, et l’on se jetait sur l’ennemi pour le démanteler de ses avirons, ou crever ses flancs d’un coup d’éperon. On s’accrochait, on se saisissait bord à bord ; les boucliers faisaient la tortue sur la tête des soldats ; on montait à l’abordage comme à l’assaut d’un mur crénelé. Le combat de mer n’était qu’un accident de la guerre de terre ; l’armée, un instant embarquée, ne faisait guère que changer de terrain. Les rameurs seuls appartenaient essentiellement, à la flotte.

Plus tard, quand on se battit pour la domination de toutes les mers du globe, la galère fit place au vaisseau de ligne armé d’un triple étage de canons échelonnés sur ses flancs. Entre la tactique de terre et l’armée de mer, il n’y eut plus rien de commun ; le soldat et le matelot devinrent deux hommes distincts et bien différens. Les élémens imposèrent l’ordre de bataille ; le vent- régla la ligne et jusqu’au nombre de vaisseaux qu’on put à la fois mener utilement au combat. Nelson, à Trafalgar, le fixait à vingt-cinq. L’armée de mer déroula sa chaîne de citadelles flottantes liées l’une à l’autre par la discipline et, l’art des évolutions ; la victoire appartint au général qui sut briser la ligne ennemie en tronçons et l’écraser sous un feu dominant. Tel est le caractère que, pendant plus de deux siècles de combats ; gardèrent les armées navales.

Tort récemment enfin, la vapeur est venue, non point détrôner la voile, mais lui prêter l’appui de la rame, et de la rame mue par une force presque surnaturelle, en un mot confondre la galère avec le vaisseau de ligne. Libre désormais de se mouvoir « dans les dents mêmes du vent, » le vaisseau n’est plus redoutable seulement par son travers, il peut à son gré présenter à l’ennemi ou ses flancs, ou sa