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Comme le Monk et le Washington de M. Guizot, la troisième partie du Cours d’Economie politique de M. Rossi[1] est une de ces œuvres composées la veille, qui trouvent leur place merveilleusement préparée dans les esprits par les événemens du lendemain. Une des ambitions le plus haut affichées du parti socialiste, lors de sa miraculeuse ascension aux affaires, fut la répartition meilleure des avantages sociaux entre les membres de la famille humaine : or, les dernières leçons de l’illustre économiste dont nous déplorons la perte traitent précisément de la distribution des richesses parmi les producteurs divers ; mais si le sujet est le même, et s’il y a vœu pareil pour l’émancipation de l’ouvrier, quelle différence de vues ! On mesure aussitôt la distance qui sépare la sagesse novatrice des témérités révolutionnaires, le philanthrope éclairé de l’aveugle flatteur des multitudes. Tandis que, prompte aux hallucinations solitaires, l’école socialiste poursuit la solution du problème économique dans des règles systématiquement tracées à priori, M. Rossi, partant de l’observation des faits, la trouve dans les lois qui dérivent de la nature et des rapports des choses. MM. Louis Blanc et consorts, par exemple, ne s’inquiètent ni des droits existans, ni des aptitudes et des mérites inégaux, ni de l’indépendance de l’homme rebelle au joug étranger. Leur cade n’a que trois règles la communauté complète des instrumens de travail, la subordination absolue de l’activité individuelle à la tâche sociale, l’égalité parfaite de rémunération pour tout ouvrier. M. Rossi ne professe point ce dédain superbe pour la justice et la liberté. Il croit à la puissance de la spontanéité propre, source du progrès général ; hors de l’équité, il n’entrevoit que misère pour la société, et pour l’homme qu’oppression. Aussi appelle-t-il à concourir au partage ainsi qu’à la création de la richesse, avec la fécondé activité du travail libre, le capital et la terre ; le trésor lentement acquis des générations et les forces naturelles légitimement appropriées. Mais, demandera-t-on peut-être, quelle sera la part de chaque co-partageant ? La réponse ne tarderait guère, si la question s’adressait à des gens qui taillent et coupent, ordonnent et réglementent avec la preste audace de théoriciens que les réalités n’embarrassent pas. On connaît les dividendes précis des phalanstériens. M. Rossi n’est point de ces hommes, et leurs pratiques ne sont point les siennes. De haute autorité, régler les marchés et les bénéfices, répartir les profits, établir la base et le signe des échanges, il sait ce que valent de telles mesures ; l’expérience lui en a appris à la fois l’impuissance et les effets calamiteux. Laissant à d’autres le métier ici dérisoire de législateur, il se borne à constater les faits et les méditer ; les formules qu’il donne sont le fruit unique d’une réflexion qu’ont enrichie à un égal degré la science et l’investigation personnelle.

Les lois économiques de la distribution des richesses formulées par M. Rossi reposent sur la nature et sur la relation des choses. Si le pouvoir intervient pour les changer, l’équilibre naturel se rompt, et tout est en souffrance : la terre devient stérile, le capital disparaît ; l’industrie laborieuse ne trouve plus à s’exercer. Pourtant, dira le socialisme, il existe un moyen infaillible de suppléer à l’action des rapports abolis : c’est de créer au profit du travail les

  1. 1 vol. in-8o, chez Thorel, 4 place du Panthéon.