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écriture qui attestât qu’il avait passé sous le joug. Point d’abdication signée avant le temps, point de ministère. M. Barrot s’appliquait de son mieux à sortir de peine et à délivrer le président du mauvais charme ; on s’efforçait de lui persuader qu’il était, joué, que c’était la sorcellerie de l’Élysée qui allait à son tour le saisir. Le ministère était fini ; le château de cartes avait l’air de se tenir debout, on en retirait une, et tout tombait. Voilà comment il a bien fallu le faire sans compter avec ces dictateurs clandestins qui ne veulent compter pour leur part avec la dignité de personne.

Le président n’en est pas moins, diront-ils, venu jusqu’à ses fins ; il a rusé pour lasser son monde, et, il a retrouvé au dernier moment le cabinet de prédilection, celui qu’il s’est ménagé de longue main en vue de la fameuse opération par où la France doit en passer. Nous ne croyons pas beaucoup en ce temps-ci à une si noire et si profonde dissimulation, nous croyons même qu’en général il y a bien plus d’innocence que l’on n’en suppose dans la conduite des affaires humaines. M. Rouher, M. Baroche, ne nous paraissent pas encore les grenadiers du 18 brunâtre, et nous n’avons aucune raison de penser que ce rôle-là ne leur déplût pas autant qu’à personne. — Mais n’est-ce point une outrageante témérité de leur part d’affronter ainsi l’assemblée qui leur a tout récemment signifié sa désaffection ? n’est-ce pas une manœuvre systématique du pouvoir exécutif pour amoindrir toujours la considération du parlement en lui infligeant de plus belle les hommes dont il n’a pas voulu ? — Ce sont encore là de ces calculs trop savans pour la pratique, dont on remplit l’histoire quand on la construit après coup. Si l’on a pris les ministres abattus sous, le scrutin de janvier, c’est par une raison probablement beaucoup plus simple : c’est parce que les tacticiens avaient si bien mis l’embargo sur tous les ministres possibles, qu’on n’en trouvait plus d’autres que ceux-la. Les tacticiens qui n’ont pas de responsabilité, ou qui la font petite en la partageant beaucoup, peuvent se soucier médiocrement que la France s’afflige de n’être pas gouvernée. Le pouvoir exécutif était mieux placé pour comprendre qu’il fallait en finir. Le mot de la dernière combinaison ministérielle est là. Si le président eût voulu défier l’assemblée, comme on l’en accuse, il n’avait qu’à garder le 18 janvier son ministère bel et bien battu ; pas une syllabe de la constitution ne l’obligeait à s’en priver. Ce ministère a cependant subi son arrêt ; ce n’est pas sa faute si les partis n’ont pu le remplacer ; il revient parce qu’on lui a laissé la place libre ; il revient en compagnie suffisante pour la garnir et en changer la physionomie. Après tout, il y a presque trois cents membres, de l’assemblée qui se sont formés en une minorité respectable et compacte autour des ministres disgraciés par une majorité de toutes couleurs, et cela dès le lendemain de leur chute. Nous ne voyons pas pourquoi la plus importante fraction de l’assemblée ne pèserait point dans les conseils du président autant que des fractions plus ou moins minimes par le nombre qui ne rachètent cette infériorité que par un surcroît de bruit et d’agitation.

Ces raisons, qui nous paraissent d’autant meilleures qu’elles sont moins ambitieuses, n’ont point en d’effet sur l’esprit de M. Sainte-Beuve. L’honorable M. Sainte-Beuve est un jeune représentant, tout plein de conscience et d’honnêteté, qui suit toujours opiniâtrement un certain sillon à lui, un sillon comme tous les sillons, très droit et très étroit. Il a une théorie de par-