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pas mieux que celles du nord. La Prusse assurément, tant que l’Autriche existera, ne sera pas la maîtresse de l’Allemagne ; mais le saint-empire, tombé en poussière il y a quarante-cinq ans, ne se reconstruira pas dans cette Allemagne du XIXe siècle, transformée par tant de nouveaux droits et d’intérêts vivaces. Si le prestige de l’antique souvenir des Habsbourg a eu sa part sans doute dans la rapide victoire de l’Autriche, c’est à la puissance du droit qu’il faut d’abord en rapporter l’honneur. Que l’Autriche ne s’attribue pas plus qu’il ne lui appartient ; ce prestige de ses vieux titres est surtout invoqué lorsqu’il est d’accord avec les intérêts présens. Le jour où elle voudrait refaire le passé, les états qui ont recouru à son assistance, pour échapper à la souveraineté des Prussiens ne tarderaient pas à se retourner contre elle. Ces rois eux-mêmes qui, dans les conférences de Brégenz, portaient l’an dernier des toasts si chevaleresques au jeune empereur François-Joseph, ne les voit-on pas déjà tenir un langage plus approprié à ce temps-ci, le sérieux langage des intérêts et des affaires ? Quand le gouvernement de Bavière, par l’organe de M. de Pfordten, s’efforce de repousser à Dresde la politique autrichienne ; quand le roi de Wurtumberg écrit à M. le prince de Schwarzenberg pour le détourner de ses projets, et qu’il demande auprès de la diète un parlement national, ces symptômes ne disent-ils pas assez haut que le débat n’est pas seulement entre le cabinet de Vienne et le cabinet de Berlin ? Il y a désormais trois Allemagnes, l’Autriche, la Prusse et le groupe des états secondaires. Ni la Prusse n’est aussi faible, ni l’Autriche n’est aussi forte qu’on pourrait le supposer d’après les circonstances récentes ; toutes deux elles ont besoin de cette troisième partie de l’Allemagne dont il est impossible de ne pas tenir compte, et qui est bien résolue à maintenir son indépendance. Si l’Allemagne ne respecte pas les lois impérieuses que lui fait sa situation bien comprise ; si des intelligences téméraires veulent, soit au profit de la Prusse, soit pour la gloire des Habsbourg, violer les droits vivans et ressusciter ce qui est mort, il n’y aura que troubles, anarchie, créations impuissantes, prolongement sans fin d’une crise funeste. Nous ne renonçons pas à l’espérance de voir les prétentions injustes disparaître, et ces jalousies ardentes faire place à une étude plus désintéressée des droits et des relations des peuples. Ce qui se passe à Dresde n’intéresse pas seulement l’Allemagne. Est-ce bien en présence des dangers qui nous menacent tous, est-ce au milieu des fureurs révolutionnaires qu’on osera déchirer les traités, ébranler l’équilibre des grandes puissances, amener enfin une confusion d’où sortirait la guerre européenne ?


SAINT-RENE TAILLANDIER.