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dominicaine, M. Baëz, conseillât tout le premier d’attendre cette décision pour agir, Santo-Domingo (27 février 1844) donna le signal du soulèvement, qui se propagea, avec la rapidité de l’éclair, dans toute la partie espagnole.

M. Juchereau de Saint-Denis put du moins prévenir les suites d’une impatience qu’il n’avait pas été en son pouvoir de comprimer. La garnison haïtienne de Santo-Domingo était parfaitement en mesure d’écraser la ville ; il obtint, quelle capitulât. Le chancelier du consulat, M. Terny, prit même sur lui de vaincre les dernières hésitations du commandant haïtien en allant, tout essoufflé, annoncer à celui-ci qu’un corps innombrable d’insurgés devait, dans quelques instans, venir l’égorger, lui et ses soldats.- « Mais je ne vois personne, dit le commandant en mettant le nez à la fenêtre. — C’est que sans doute… ils sont à dîner… répondit avec beaucoup d’aplomb M. Terny, dont l’observation produisit d’autant plus d’effet qu’elle avait le mérite de la couleur locale. — Je n’y pensais pas ! » dit à son tour le commandant, et la garnison haïtienne s’embarqua sur nos vaisseaux.

L’insurrection publia un long manifeste destiné à établir ses griefs et ses droits auprès des nations civilisées, à qui elle rouvrait l’île. Les Dominicains déclaraient se soulever en vertu du principe qui avait légitimé quelque mois auparavant la chute de Boyer. Cette indirecte sanction leur était même parfaitement inutile. « De ce que les naturels appelaient l’île de Saint-Domingue Haïti, il ne s’ensuit pas que la partie occidentale, qui, la première, se constitua en état souverain, eût le droit de considérer le territoire de l’est comme partie intégrante de cet état… Si la partie de l’est appartient à une autre domination qu’à celle de ses propres fils, elle appartiendrait à la France ou à l’Espagne, et non à Haïti… » - Objecterez-vous le pacte tacite de 1822 ? L’existence de ce pacte est plus que douteuse, et vous nous en avez, en tout, cas, dégagés en le violant outrageusement… « Nous n’avons aucun devoir vis-à-vis de ceux qui nous privent de nos droits. » - Considérez-vous au contraire, l’est comme conquis par la force ? Eh bien ! que la force décide. Telle est la substance de ce long document, où le fatalisme espagnol et l’ergotage estudiantino de la vieille métropole universïtaire se révèlent parfois d’une façon piquante, comme dans cette phrase : « considérant qu’un peuple qui est condamné à obéir à la force et y obéit fait bien, mais qu’aussitôt qu’il peut y résister et y résiste, il fait mieux… » Voilà déjà sept années que ce généreux diminutif de nation se promène de champ de bataille en champ de bataille à cheval sur son considérant.

Et Cependant les Haïtiens pris en masse ne demandaient pas mieux que de laisser les Dominicains en repos. La rupture du faisceau national,