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des blancs fut maintenue. L’égalité absolue des cultes fut en outre introduite pour la première fois dans la loi fondamentale, et cette innovation, où l’esprit d’imitation avait probablement plus de part que l’esprit de système, put être considérée par les Dominicains comme la consécration légale et par suite l’aggravation des atteintes portées sous Boyer à leur sentiment religieux. « Si, lorsque le catholicisme était la religion de l’état, ses ministres avaient été méprisés et vilipendés, que serait-ce maintenant qu’il allait être entouré de sectaires et d’ennemis[1] ? » A partir de ce moment ; tous les districts de l’est se préparèrent à l’insurrection, pendant que les députés dominicains, qui continuaient de siéger pour la forme dans la constituante, faisaient de secrètes démarches auprès du contre-amiral de Mosges, commandant les forces navales françaises, de M. Adolphe Barrot, envoyé à Port-au-Prince pour traiter la question de l’indemnité, et de M. Levasseur, notre consul résident. Les députés dominicains demandaient le concours de la France à la scission qui se préparait, nous offrant, en échange, soit la suzeraineté, soit le protectorat, soit la cession pure et simple de leur territoire. Nos agens refusèrent de se prononcer, se bornant à transmettre ces ouvertures au gouvernement français ; mais entre les oppresseurs et les opprimés, entre Port-au-Prince qui repoussait la civilisation et Santo-Domingo qui l’appelait, entre ces Haïtiens qui, pour prix du généreux abandon de nos droits, pour prix de notre patience systématique dans l’affaire de l’indemnité, érigeaient la haine du nom français en principe constitutionnel, et ces Dominicains qui, ne nous devant rien après tout, appelaient pour la quatrième fois depuis cinquante ans ce drapeau français qu’ils avaient été les derniers à défendre dans l’île, les sympathies de notre gouvernement pouvaient-elles être douteuses ? Les députés de l’est crurent donc pouvoir se dispenser de dissimuler leurs espérances, et un beau jour Hérard les fit arrêter.

M. Levasseur obtint leur mise en liberté, et les Dominicains ne virent là qu’un gage formel de notre protection. L’arrivée à Santo-Domingo de M. Juchereau de Saint-Denis, consul désigné pour le Cap et qui par suite de la destruction de cette ville, avait obtenu du gouvernement haïtien que sa résidence fût transféré dans la capitale de l’est, la présence des bâtimens français qui avaient transporté M. Juchereau de Saint-Denis et les députés dominicains délivrés à la sollicitation de M. Levasseur, le langage peu diplomatique, mais ardemment sympathique de nos marins, tout contribua à fortifier les Dominicains dans cette conviction. Bien que nos agens se tuassent de dire que la France ne s’était pas prononcée, bien que le chef de la députation

  1. Manifeste de l’insurrection dominicaine.