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II. – LA REPUBLIQUE DOMINICAINE.

L’état social de la partie espagnole de Saint-Domingue offrait, à l’époque de la première révolution, un contraste parfait avec celui de la partie française. Tandis qu’ici les principes vraiment chrétiens déposés dans l’édit de 1698 avaient graduellement fait place à une législation qui flétrissait les mariages mixtes, entravait les affranchissemens et érigeait ouvertement, à l’égard des affranchis, le préjugé de couleur en moyen de police, là tout était organisé pour faciliter la fusion des deux races. Le code des Indes reconnaissait les mariages de maître à esclave, permettait l’affranchissement d’une manière absolue, laissait de fait à l’esclave la faculté de se racheter en le reconnaissant propriétaire des fruits acquis en dehors du travail dû aux maîtres, et assimilait l’affranchi aux blancs[1]. Les mœurs espagnoles, avec leurs tendances, d’égalité pratique qui n’excluent pas la subordination, mais qui donnent un caractère patriarcal, favorisaient encore le rapprochement, et des circonstances locales ajoutaient à cette influence des mœurs.

Au moment même où les travaux des mines achevaient de dévorer le peu d’indigènes qui avaient échappé à la férocité des premiers conquistadores, l’occupation du Mexique et du Pérou ouvrait à l’esprit d’aventures un champ illimité. L’absence de bras d’une part, l’appât de l’inconnu de l’autre, firent émigrer vers la terre ferme la portion la plus entreprenante de la population, et la grande culture, qui supprime tout contact entre le maître et l’esclave, demeura à peu près inconnue dans la colonie naissante. La servitude des noirs, qui étaient venus remplacer les Indiens (déclarés libres par les édits répétés de la métropole), se transforma en domesticité. La plupart des colons avaient d’ailleurs embrassé l’occupation favorite des Espagnols de cette époque : ils s’étaient faits pasteurs, et l’isolement que crée ce genre de vie, la communauté, d’idées, d’éducation, de besoins, les relations d’égalité à peu près absolue qu’il amène à la longue entre le maître et le serviteur firent le reste.

La double couche de sang libre que la race conquérante et le dernier noyau de la race indigène[2] mêlaient au sang africain s’en distinguait

  1. Sauf quand l’affranchi mettait les armes à la main contre un blanc, ce qui le rendait passible des peines réservées à l’esclave. « Il n’était justifiable que dans un seul cas, celui où le blanc aurait le premier tiré l’épée du fourreau. Alors, par un généreux retour aux mœurs chevaleresques de l’Espagne, le législateur voulait que toute démarcation disparût, et rien n’était fait à l’affranchi, quelles que fussent les suites du combat. » (Saint-Dominguepar M. R. Lepelletier de Saint-Remy ; Paris, Arthus Bertrand, 1846.)
  2. Quatre mille indigènes s’étaient groupés autour du cacique Henri, avec lequel l’Espagne finit par traiter de puissance à puissance. Leur descendance, quoique considérablement mélangée, se reconnaît encore à la beauté de la chevelure, que les hommes portent longue et flottante. Des connaisseurs ont prétendu distinguer les femmes d’origine indienne à ce signe, que les veines, au lieu de se dessiner en bleu sous leur peau, s’y dessinent en rouge.