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d’indiscrétions, les Français établis dans le pays sont systématiquement exclus de ces marchés infâmes, hormis un seul qui est même la cheville ouvrière des spéculations de sa majesté. Ce Français est un mulâtre banqueroutier de la Guadeloupe, ou il a été condamné par contumace aux travaux forcés, et qui, après avoir tenté, à l’occasion de la loi du monopole de devenir le Law de Soulouque, se contente d’en être le Scapin.

Si Soulouque employait les millions qu’il extorque annuellement à créer des plantations et des sucreries, il faudrait peut-être se féliciter de cette concentration de capitaux dans une seule main, car c’est par l’absence ou l’éparpillement de la force productive que la plus riche et la mieux située des Antilles en est devenue la plus stérile et la plus délaissée. Ces millions n’entrent malheureusement dans la cassette impériale que pour sortir immédiatement du pays et aller solder à Paris, à Londres, à New-York, les splendides fantaisies de toilette de sa majesté Faustin. Ce ne serait même là qu’un demi-mal si le trésor, qui tire le plus clair de son revenu des droits de douanes, profitait de l’activité momentanée que les achats dont il s’agit peuvent donner aux échanges ; mais, dans son incorrigible manie de se voler lui-même, Soulouque, non content de disposer à son gré du revenu public, fait encore la contrebande comme un simple mortel, et les objets achetés pour son usage entrent sans payer de droits, toujours au détriment de nos malheureux indemnitaires[1].

Les recettes officielles de Soulouque passent au dehors comme ses

  1. La convention du 15 mai 1847, relative à l’indemnité de Saint-Domingue, stipule, en faveur des anciens colons, la perception de la moitié des droits d’importation et de tonnage dans les ports de la république d’Haïti, à partir du 1er janvier 1849. Quand la moitié desdits droits excède l’annuité à payer, le surplus doit être affecté au paiement des intérêts et de l’amortissement de l’emprunt. Si, au contraire, la moitié se trouve insuffisante, la différence vient accroître l’annuité suivante pour être payée par les premiers excédans qui suivront, jusqu’à libération complète. Cette convention, qu’on nous passe le mot, est doublement absurde. Elle oblige, en premier lieu, nos consuls à inventorier les tiroirs de la douane haïtienne, et, ce rôle d’huissier est toujours fâcheux pour un étranger. Elle ouvre, en second lieu, la porte à la mauvaise foi, car il ne dépend que de l’administration d’annihiler pour nous le bénéfice de cette convention, soit en dissimulant une partie des recettes d’importation, soit en opérant, par le déplacement des conditions économiques du pays, une réduction systématique de ces recettes. C’est ce dernier procédé qu’emploie le plus volontiers le ministre des finances ; M. Salomon. Dès la première année de la mise en vigueur de la convention, M. Salomon trouva le secret de réduire la part de nos indemnitaires à 1 million, alors que le minimum de l’annuité devrait être de 1,700,000 francs. Lorsque M. Levasseur posa les bases de la combinaison dont il s’agit, il était sous l’impression de la loyauté bien connue du gouvernement de Riché ; mais cette illusion n’est plus permise en face d’un gouvernement à l’envoyé duquel (M. Delva) un de nos derniers ministres des affaires étrangères a pu dire, et sans crainte d’être démenti : « Vous êtes, monsieur, le représentant d’un gouvernement sans foi. »