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soupçonneux, une déférence instinctive pour tout conseil dont il ne peut suspecter le désintéressement, et de là encore l’ascendant du consul de France plaidant la cause d’une classe qui, sauf un petit nombre d’exceptions, avait érigé jusque-là en tactique la haine de la France et des Français. Ce qu’a pu accidentellement obtenir un agent, étranger, dont l’immixtion dans les affaires intérieures, si loyale et si bien amenée qu’elle soit, porte toujours quelque ombrage, un clergé sérieux, un corps dont l’autorité n’aurait rien de blessant, parce qu’elle est exclusivement morale et d’ailleurs prévue et acceptée, ne l’obtiendrait-il pas plus aisément encore, et surtout d’une façon plus continue ?

Le jour où une lueur durable d’humanité percerait ces ténèbres de sauvagerie, le jour où Soulouque serait parvenu à comprendre que respirer et marcher n’est pas un crime politique, et que la classe qu’il redoute a pour unique ambition de n’être ni emprisonnée ni fusillée, ce jour-là, à tout prendre, Haïti serait théoriquement plus près de la civilisation qu’il ne l’a jamais été. Ne l’oublions pas : bien qu’il ne soit sorti du milieu mulâtre que pour entrer dans le milieu ultra-noir, et qu’il n’ait cessé dès-lors de subir le contact d’influences anti-françaises, Soulouque est, avec Riché, le seul chef haïtien qui ait compris la nécessité de ménager et de retenir nos nationaux[1]. Or, c’est par haine

  1. Il a même à cela beaucoup plus de mérite que Riché, qui n’était pas obsédé comme lui par la minorité ultra noire, et qui était encouragé dans ses tendances civilisatrices, d’un côté par quelques hommes de la jeune génération mulâtre, beaucoup plus intelligente sous ce rapport que sa devancière, d’un autre côté par quelques noirs éclairés, entre autres son ministre, M. Larochel. Le contraire arrive autour de Soulouque. Si quelques hommes déplorent secrètement que leur pays ne soit pas ouvert à la civilisation blanche, ils se taisent ou même affectent de s’associer aux clameurs du parti ultra-noir, afin de ne pas attirer sur eux les soupçons de ce terrible parti. Soulouque a en outre à lutter dans son propre conseil contre les obsessions anti-françaises du ministre des finances, M. Salomon, noir très instruit et très habile, dont la gallophobie était secondée par la prétentieuse bêtise du dernier ministre de la justice, M. Francisque.