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et la tragédie sont des formes aussi légitimes que le drame. Je ne crois pas ces deux formes condamnées à périr, malgré les argumens produits pour démontrer la nécessité d’y renoncer. Si le drame nous offre une image plus complète de la vie en plaçant le rire près des larmes, ce n’est pas une raison pour renoncer à traiter dans des cadres séparés la peinture de la passion et la peinture du ridicule. Qu’une parodie comme Valeria s’appelle drame ou tragédie, peu importe. C’est une œuvre bruyante et inanimée qui ne relève pas plus de Shakspeare que d’Eschyle. Que les Routiers invoquent, pour se justifier les préceptes posés par l’école littéraire de la restauration, c’est une plaisanterie qui ne mérite pas d’être discutée. Si M. Hugo n’a pas tenu toutes les promesses de ses préfaces, il faut pourtant reconnaître, au nom du bon sen, quHernani et Marion de Lorme ne sont unis par aucun lien de parenté avec le dernier ouvrage de M. Latour. Quelque jugement que l’on porte sur la manière dont l’auteur des Orientales a interprété l’histoire, ce serait le calomnier que de faire remonter jusqu’à lui les idées sans nom dont se compose ce pitoyable mélodrame. Les Contes d’Hoffmann n’ont rien à démêler avec les privilèges de la fantaisie proclamés depuis vingt ans supérieurs à tous les enseignemens de l’histoire et de la vie individuelle. L’oeuvre de MM. Barbier et Carré peut être considérée comme une offense aux droits de la fantaisie, puisqu’ils ont dénaturé une des plus ravissantes créations du génie moderne, pour la soumettre aux exigences du métier. — J’allais oublier la comédie nouvelle, que le public applaudit, et qui est parfaitement dépourvue de nouveauté. Le succès, que je ne conteste pas, ne change rien à ma conviction. La dernière comédie de M. Scribe est une œuvre de mémoire, où l’observation personnelle ne joue aucun rôle.

Malgré quelques efforts honorables et courageux, que je n’ai pas besoin de rappeler, le théâtre, pris dans son ensemble, est aujourd’hui moins littéraire que la poésie lyrique et le roman. Tant que les poètes dramatiques ne se décideront pas à étudier sérieusement l’histoire et la société, l’histoire de l’humanité à tous les âges, la société dans toutes les conditions, la comédie, la tragédie et le drame s’agiteront dans un champ éternellement stérile. L’étude de l’histoire et de la société ne permet pas de prendre au sérieux les œuvres dont je viens de parler ; aussi je ne crains pas qu’on m’accuse d’injustice.

GUSTAVE PLANCHE.