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appartenait aux âges fabuleux, qui, pour dessiner le personnage de Claude, se sont contentés de copier Perrin Dandin, oubliant la gourmandise, qui, chez lui, dominait le pédantisme et la manie de juger, ont cru devoir prodiguer l’érudition dans les détails les plus insignifians. Ils dédaignant, ils méprisent l’histoire lorsqu’il s’agit des personnages, c’est-à-dire de la substance même de la poésie, et lorsqu’il s’agit des meubles, des ustensiles de ménage, ils tiennent à parler comme des antiquaires. En vérité, c’est une étrange manie. Shakspeare et Corneille, qui ont mis au théâtre plusieurs épisodes de l’histoire romaine, n’ont jamais songé à suivre une telle méthode. Ils s’inquiétaient de l’histoire et avaient raison, mais ils ne s’inquiétaient pas de l’archéologie, et c’était de leur part une preuve de bon sens. À quoi sert en effet l’archéologie dans un poème dramatique ? C’est un passe-temps puéril, un placage sans valeur, qui distrait quelques érudits et n’ajoute rien au mérite de l’ouvrage. Où s’arrêter d’ailleurs dans le champ le l’archéologie ? Le poète se montrera-t-il antiquaire jusqu’au bout ? En respectant littéralement les données de la science, ne s’expose-t-il pas à devenir obscur ? Après avoir fait rimer esclave et laticlave, s’il s’avise de nommer les sesterces est-il bien sûr d’être compris ? Et s’il recule devant le danger des sesterces, à quoi ne s’expose-t-il pas en parlant d’écus romains ? Pour les érudits, l’écu romain n’est pas précisément une preuve de savoir, et pourtant MM. Maquet et Lacroix nous ont parlé d’écus, romains. Entre les patères et les épitoges, les amphores et les trirèmes, l’écu romain fait une assez triste figure.

Mlle Rachel, en acceptant le double rôle de Valeria et de Lycisca, a commis une grave imprudence. Ce n’est pas seulement une tâche difficile, c’est une tâche indigne d’un talent élevé, indigne d’elle. Il faut laisser les travestissemens aux théâtres du boulevard. Que Mlle Déjazet joue dans la même pièce le rôle d’un mousquetaire et le rôle d’une douairière, rien de mieux. Pourvu qu’elle nous amuse, nous n’avons rien à lui demander. Qu’elle se tourne vers la coulisse et change sa voix pour gourmander son interlocuteur absent, c’est une espièglerie dont je m’accommode volontiers ; mais qu’une tragédienne habituée à représenter les personnages les plus imposans de l’antiquité, qu’hier nous avons vue sous les traits d’Émilie, que nous verrons demain sous les traits de Camille ou d’Hermione, essaie de lutter avec Mlle Déjazet, je ne saurais y consentir ; c’est méconnaître, c’est profaner son talent.

Le drame de Valeria écouté avec bienveillance, avec attention, a été plus d’une fois applaudi. Il y a en effet dans cette œuvre, d’ailleurs si défectueuse, plusieurs parties traitées avec talent, et le public en battant des mains a fait un acte de justice. Cependant les auteurs ne peuvent se méprendre sur le sens et la valeur de ces applaudissemens, car si quelques scènes ont été accueillies comme elles méritaient de l’être, par des marques non équivoques d’approbation, il faut bien reconnaître que, pendant la plus grande partie de la représentation, le public s’est montré assez indifférente je me reprocherais blâmer. Oui, sans doute, cette œuvre est conçue avec soin, on sent dès la première scène qu’on n’a pas affaire à un drame improvisé ; mais si le travail a laissé sa trace dans Valeria, si l’on devine sans peine que ce poème a coûté plusieurs mois de persévérance, on se demande si c’est là de la persévérance utilement