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les œuvres soumises à notre jugement, quelle que soit leur filiation. La vérité historique n’est qu’une vérité accidentelle ; la vérité morale, la vérité qui se déduit de la nature même de nos facultés ; est seule durable, seule immuable, et c’est à elle surtout qu’il faut demander conseil pour mesurer la valeur des œuvres poétiques.

Si, depuis vingt ans, l’art dramatique a fait fausse route, c’est pour avoir mis la vérité accidentelle ou historique au-dessus de la vérité morale ou éternelle. Cette distinction, que les esprits frivoles ne manqueront pas de tourner en ridicule comme une subtilité scolastique, résume cependant très nettement la pensée de tous les hommes sincères qui ont pris la peine de suivre le développement littéraire de notre pays. J’ajoute que l’histoire, étudiée profondément, n’eût pas fait grand tort à la philosophie : Par malheur, les poètes dramatiques ont préféré presque toujours les faits anecdotiques aux faits généraux, c’est-à-dire qu’ils ont trouvé moyen de rétrécir le champ de la vérité historique, ou, ce qui revient au même, d’oublier l’histoire pour glaner çà et là, comme autant d’épis précieux, quelques documens d’une authenticité douteur, qui n’apprennent rien sur la marche des nations. Au lieu d’interroger l’histoire et la philosophie, ils n’ont pas même interrogé l’histoire, car ils l’ont confondue avec l’anecdote, et, de l’anecdote au paradoxe il n’y a souvent que l’épaisseur d’un cheveu.

Les auteurs de Valeria ne paraissent pas avoir songé un seul instant à mettre l’histoire au théâtre. Il n’y a pas, en effet, un seul incident, un seul personnage qui relève de la réalité telle qu’elle nous a été transmise par des témoignages authentiques. C’est une œuvre de fantaisie dans l’acception la plus hardie du mot. On nous disait que MM. Marquet et Lacroix se proposaient de réhabiliter Messaline ; et quoiqu’une pareille tentative pût à bon droit paraître téméraire, cependant, pénétré d’un respect profond pour les droits de l’imagination, nous avons écouté sans impatience les deux mille vers qu’il leur à plu d’écrire sur cette idée paradoxale. Pour ma part, je ne crois pas que la poésie trouve grand profit à dénaturer le sens de l’histoire : cependant, comme un esprit habile, un talent exercé rencontre parfois dans une idée téméraire l’occasion d’un éclatant triomphe, j’ai voulu, en écoutant Valeria, oublier toutes mes lectures, et je dois avouer que les auteurs m’ont rendu cette tâche bien facile ; car, si j’excepte les noms des personnages, rien dans le drame nouveau n’était de nature à réveiller mes souvenirs. J’ai donc oublié les vers du satirique latin, oublié les récits du gendre d’Agricola, oublié les révélations du biographe des Césars. Je me suis préparé à l’étude de l’œuvre nouvelle par l’effacement complet de mes études antécédentes. Ai-je lieu de m’applaudir de cette bienveillante résignation ? C’est au lecteur qu’il appartient de décider cette question délicate. Je n’ai jamais prétendu au titre d’érudit, et je fais bon marché des livres que j’ai feuilletés ; comme des livres que j’ai relus plusieurs fois. Que le poète m’intéresse, m’émeuve, qu’il m’épouvante ou m’attendrisse, et je lui pardonnerai de grand cœur de ne pas respecter littéralement la réalité historique. Les auteurs de Valeria peuvent-ils invoquer une pareille excuse ?

À qui faut-il nous intéresser dans cette cohue d’incidens et de personnages qu’ils ont appelée Valeria ? Messaline est-elle réhabilité par ce poème étrange,