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entre les mains de nos vingt-six mille nationaux de la province dépasse en ce moment la somme de 120 millions de francs.


Nous avons exposé avec sincérité l’état des contrées situées dans le vaste bassin du Parana et l’importance des relations que nous pouvons y établir. Qu’où nous dise maintenant quelle doit être la politique de la France dans la Plata ?

Ce que notre gouvernement doit considérer ici comme l’intérêt primordial de la France, c’est à coup sûr la protection de nos trente mille nationaux, la garantie de leurs personnes et de leurs biens. Tout pouvoir local qui nous assure cette garantie a droit à nos sympathies. Que veulent les hommes qui proposent une expédition contre Buenos-Avres ? Renverser Rosas ? Eh bien ! que Rosas tombe, et le pillage, surtout le pillage des étrangers, devient la loi du pays. Ne voit-on pas que dans ces contrées, fatiguées de la guerre civile, Rosas s’est rencontré comme un homme providentiel ? Fanatique de la loi et l’idole des gauchos, lui seul pouvait dominer l’anarchie et sauver sa patrie du chaos. Pour enchaîner les gauchos, la loi n’a pas trop de tout le prestige de Rosas sur la campagne ; son nom seul imprime le respect au désert. On se fait illusion d’ailleurs, cette expédition avec laquelle on prétend le réduire et le renverser ne ferait qu’accroître son pouvoir. Quand nous avons capturé son escadrille, bloqué ses côtes, foudroyé ses batteries, loin d’user de représailles, il n’a fait que redoubler d’équité envers nos nationaux : il laissait la voix de son pays répondre seule à nos menaces.

Pour que la France augmente son commerce dans la Plata, que faut-il surtout ? La paix sur les deux rives. Que veulent donc ceux qui prétendent imposer la libre navigation des fleuves ? La guerre évidemment, car jamais le général Rosas ne concédera ce droit, qui introduirait aux flancs de la confédération le démon de l’anarchie. Nous avons fait voir que la France n’y a aucun intérêt, que le Paraguay et le Brésil seuls y gagneraient. Que veulent encore ceux qui demandent une expédition dans l’État Oriental ? — L’exclusion d’Oribe de Montevideo ? C’est la guerre toujours ; plutôt que de tolérer les unitaires ou leur influence ennemie dans cette ville, le général Rosas s’exposerait aux dernières extrémités. Et à qui profite cette exclusion d’Oribe pour laquelle nous avons sacrifié tant de millions ? A quelques maisons anglaises qui pourraient redouter de voir certains acquêts de biens nationaux contestés par un gouvernement régulier ; aux proscrits argentins qui sans nous eussent été forcés dans leur dernier asile. Quant à l’indépendance de l’État Oriental, qui donc intéresse-t-elle au premier chef ? Le Brésil, car elle ne touche la France que bien secondairement. Étrange politique ! qui consiste à toujours sacrifier l’intérêt de notre paye, pour faire les affaires