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elle se retira soudain, attendu, pour nous servir des termes d’un ministre de la reine, « qu’en fait de folies les plus courtes sont les meilleures ; » elle se retira assez cavalièrement, sans daigner se concerter avec nous, qui n’avons fait que céder aux instances du gouvernement anglais. La Grande-Bretagne a signé un traité avec le général Rosas, et Rosas nous a offert ce même traité que l’assemblée nationale ; fièrement refusé, comme si entre Rosas et la France il pouvait s’établir une lutte d’orgueil ! Nous avons même envoyé dans la Plata quinze cents hommes pour aider M. le contre-amiral Le Prédour dans ses négociations, et notre plénipotentiaire nous a renvoyé un nouveau traité, modifié à peu près dans les termes posés par notre gouvernement et signé d’Oribe et de Rosas. C’est ce traité qu’il s’agit aujourd’hui de présenter à l’assemblée souveraine.

La question est, on le voit, ramenée aujourd’hui aux termes les plus simples. Entre la guerre et la paix, il faut choisir : Nous avons déjà montré quels obstacles attendaient, dans les pampas et sur les bords des fleuves américains, une armée européenne. Il reste à examiner quelles ressources nous offre la paix.

Bien qu’issue d’une même souche, la population indigène se partage en deux classes distinctes : l’habitant des villes et l’habitant des campagnes. On connaît les mœurs et les besoins du gaucho. Les fruits de son sol lui suffisent ; il dédaigne notre civilisation et les nécessités factices qu’elle nous crée. Un seul de nos produits trouve grace devant lui : l’eau-de-vie ; encore préfère-t-il souvent la caña du Brésil et du Paraguay. Au milieu de cette race dure et grossière, notre commerce a peu à faire ; mais l’habitant des villes, et en particulier le porteño, est doué d’une délicatesse native qui le rend sensible à toutes les élégances qu’enfante l’industrie de nos grandes cités ; les femmes surtout, dans leur goût pour le luxe, défieraient la Parisienne la plus raffinée : la musique, la danse, la littérature et l’éclat de la toilette dans les fêtes ou dans les réunions où elles règnent sont la grande affaire de leur vie. Ces instincts du monde élégant, si vifs à Buenos-Ayres, y font rechercher nos soieries, nos draps, notre lingerie, nos articles de Paris et de Lyon ; mais quel mouvement commercial peut résulter de ce goût de la classe distinguée ? Sept ou huit millions par an tout au plus et le chargement de quelques navires. Ce qui donne l’impulsion au commerce maritime, ce sont les besoins de la foule ; ce qui l’établit sur une large base, c’est l’échange des marchandises encombrantes, et voilà le phénomène inattendu qu’a produit l’émigration française dans la Plata.

Jusqu’en 1840, l’émigration était surtout fournie par nos grandes villes ; à côté des représentans de nos maisons de commerce, venaient se grouper des artisans de toute sorte : des horlogers, des tailleurs,