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aussi le concours des habitans avait-il transformé en une sorte de ville leur lieu de campement.

Contre ce terrible protecteur, le petit nombre des propriétaires orientaux qui n’avaient pas fui à Buenos-Ayres implorèrent le secours du roi de Portugal. Le Brésil n’eut garde de laisser échapper une si belle occasion de renouer sa politique séculaire pour tenir Buenos-Ayres en échec. Vers la fin de 1816, dix mille hommes des vieilles troupes de la Péninsule, sous les ordres du général Lecor, pénétrèrent en trois corps différens dans l’État Oriental par Santa-Teresa, par le Cerrolargo, par le bord de l’Uruguay, et, enserrant le pays tout entier dans leur marche convergente, ils entrèrent, le 19 janvier 1817, à Montevideo, qui leur fut livrée par les habitans. Artigas les harcela de guerillas meurtrières où le gaucho Rivera commença sa réputation de partisan. Aussi ces beaux régimens, qui avaient figuré avec honneur dans les grandes guerres de l’empire, décimés dans de continuelles embuscades, se trouvèrent-ils bloqués dans la ville même où ils étaient cantonnés, à peu près comme, le serait aujourd’hui par les bandes d’Oribe une troupe européenne qui voudrait prendre pied à Montevideo pour dominer l’État Oriental.

Artigas resta maître de la contrée exactement comme l’est aujourd’hui Oribe en face de la ville de Montevideo, occupée par la légion étrangère et par nos bataillons d’infanterie de marine. En 1820, son lieutenant Ramirez se révolta dans l’Entre-Rios, lui livra bataille et le défit. Le héros des gauchos, vieilli et délaissé par la fortune, se vit même contraint de fuir au Paraguay, où Francia, son ennemi instinctif, lui assigna pour asile et pour prison la bourgade de Curuguaty, qui fut aussi son tombeau. Ramirez, vainqueur du grand Artigas, rêva l’empire de l’Amérique : il franchit le Parana un peu au-dessous de Santa-Fé et mit en déroute une armée buenos-ayrienne ; mais le soir de ce succès, au moment où, assis sur le trésor qu’il avait enlevé à l’ennemi il s’enivrait de son triomphe, il vit venir à la tête de trois cents cavaliers, Lopez de Santa-Fé, qui ne voulait que donner une alerte. Les vainqueurs surpris et épouvantés se débandèrent. Ramirez piqua droit au désert ; Lopez le reconnut, s’acharna à sa poursuite, le tint pendant de longues heures au bout des lances de ses gauchos, l’abattit enfin et l’égorgea sans merci.

La ruine d’Artigas portait au faîte l’ambition du Brésil, qui, étendant sa frontière à l’Uruguay et sur La Plata, devenait enfin puissance prépondérante dans ce bassin du Parana d’où l’Espagne, pendant deus cents ans, l’avait exclu. Tout d’abord, le Brésil s’incorpora la Bande Orientale, puis, en 1823, quand il se constitua lui-même en empire indépendant, il la démembra, en attribua une partie à sa province de Rio-Grande et fit du reste la province cisplatine. Ce fut encore le rêve d’un jour. En 1825, trente-deux Orientaux, parmi lesquels se trouvait