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renverser et lui substitua un autre président qui dura quinze jours. Don Mariano Roque-Alonzo, commandant d’un quartier de cavalerie, le destitua à son tour, et, s’associant un estanciero nommé don Carlos. Lopez, fit proclamer le gouvernement consulaire au commencement de 1844. Comme Francia, Lopez avait été élevé pour l’état ecclésiastique, et, comme lui, il était devenu docteur en droit. Le premier congrès fut convoqué pour 1842 ; on vit alors se répéter le manège que nous connaissons ; Lopez remplit de ses fidèles l’administration, les justices de paix et les commandemens de district ; ceux-ci lui envoyèrent des députés à son gré, qui arrivèrent à la capitale, les uns en charrette à boeufs, les autres à cheval ou à pied, sans souliers, portant sur leur tête les provisions de la session. En trois jours, la session fut close ; Lopez et Alonzo étaient consuls[1]. Un second congrès se réunit en mai 1844, qui décida qu’un seul président ferait mieux que deux consuls ; Lopez fut nommé pour dix ans avec 10,000 piastres (55, 000 fr.) d’appointemens ; le pacte politique fut voté, et, tout cela fut l’affaire d’un jour ; le 16 mai 1844, le président s’installait impérialement au palais ; la garde en haie présentait les armes à son excellence Mme la présidente, accompagnée de ses petits enfans, et les députés retournèrent à leurs boeufs.

Francia a trouvé son successeur, un héritier de son œuvre. Le système qu’il a fondé n’est point, comme l’avait cru le libéralisme moderne, une monstruosité dans l’ordre politique, mais un gouvernement dont les racines reposent dans les entrailles mêmes de la population. Lopez reprend les erremens du dictateur suprême ; le régime prohibitif est restauré ; les étrangers, qui avaient profité du relâchement dont la mort de Francia fut suivie pour s’établir dans le pays, reçoivent l’ordre de quitter l’Assomption. Le commerce subit de nouvelles entraves ; l’autorité a recours aux rigueurs et aux exécutions ; pour l’ombre d’un oubli de la profonde déférence qu’exige le président, — fusillé ; pour un secret soupir arraché par un caprice fiscal qui vous ruine, — envoyé aux présides ! Le pays s’est accoutumé depuis long-temps à l’isolement et à une salutaire terreur ; il peut vivre aussi heureux sous cette forme que sous toute autre : telle est l’opinion de Lopez. Et, pour cimenter son pouvoir, il a mis un de ses frères à la tête de l’église comme évêque du Paraguay ; un autre a le commandement

  1. Rien de plus simple que l’élection d’un député. Sur l’ordre du gouvernement, le juge de paix ou le commandant de district réunit un certain nombre d’électeurs et leur dit : « Vous avez à élire des députés au congrès, voici les noms qu’il faut choisir. » Il lit, et l’on fait ainsi qu’il est requis. Les opérations du congrès ne sont pas moins simples. Un secrétaire lit les actes à voter, constitution politique ou loi d’intérêt privé ; le congrès approuve en bloc, et la séance est levée. Le pouvoir législatif est borné à l’approbation des décrets du gouvernement.