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une justice d’à-peu-près. Quant aux habitans de la campagne, nous l’avons ; dit, un reflet lointain de la discipline jésuitique, l’obéissance à l’autorité et une secrète antipathie pour toute intervention étrangère formaient les traits saillans de leur caractère. Les instincts de Francia le portèrent, par une pente naturelle, à la tête de cette dernière classe. C’étaient les créoles, les citadins, qui avaient fait la révolution, mais Francia les méprisait, par aversion pour tout esprit de désordre, en haine surtout de leurs meneurs, avocats sans cause, banqueroutiers, gens déclassés. Les Espagnols étaient vaincus, il n’y songeait pas. Ses collègues au gouvernement avaient les goûts et les mœurs des créoles ; ils ne portèrent aux affaires que l’anarchie : Francia ne leur ménagea pas son dégoût et se retira à la campagne, au milieu des estancieros (fermiers), dont ils se fit l’ame.

Le congrès réuni en 1813 nomma deux consuls, Francia et Yegros, riche créole qui représentait bien sa classe, n’aimant que la parade, les uniformes et les titres militaires, d’une ignorance, d’un laisser-aller et d’une insouciance qui eussent livré le pays à la dissolution. Entre ces deux hommes, entre César et Pompée, comme on les appelait, entre les deux partis la lutte ne fut pas longue. Yegros sembla effacé tout d’abord. En 1814, le congrès fut convoqué ; mais, pour étouffer les votes de la ville, Francia le composa de mille députés. On le proclama dictateur pour trois ans, puis, en 1817, dictateur à vie. Devenu maître absolu, il se donna carrière et fit de l’ordre.

Dans la politique extérieure, de même que les jésuites, pour rester maîtres absolus dans leurs missions, les avaient fermées au contact de tout Espagnol, ainsi Francia isola son, pays, de toute relation, avec les nouvelles républiques de l’Amérique. Il avait en horreur « les Athéniens, de Buenos-Ayres, révolutionnaires aimables, mais vains, indisciplinés, volages, ennemis de tout frein, et qui menaient la révolte par toute l’Amérique sans être capables de fonder aucun gouvernement. » Jamais il ne voulut fournir un à seul soldat à la guerre de l’indépendance ni s’unir au congrès argentin, et en cela, il faut le dire, il suivait l’instinct général de son pays. Les sauvages faisaient de fréquentes irruptions dans le Paraguay ; à l’exemple des jésuites, il fit entourer la frontière d’une ligne de gardiasou postes fortifiés aux frais des communes. Ces postes, ou les milices devaient accourir au premier coup de canon, rendirent la frontière du Paraguay inviolable. Pour se procurer des armes il eût bien voulu entretenir un commerce privilégié avec l’Europe ; mais, voyant que les riverains du Parna faisaient main basse, sur les munitions de guerre, il bannit les étrangers du Paraguay.

À l’intërieur, ce qu’il lui fallait d’abord, c’était une armée dévouée. Il destitua les officiers de la bourgeoisie créole et les remplaça par des hommes de la classe qui lui était sympathique ; il forma lui-même environ