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aux cuirs, aux débris d’animaux, ils ne peuvent faire rivalité aux produits similaires des rives de la Plata, ni les sucres et les riz aux sucres et aux riz du Brésil. D’ailleurs, les navires destinés à traverser l’Atlantique sont d’un trop fort tonnage pour entrer dans les passes du Parana ; il y aurait donc transbordement, forcé de marchandises, et conséquemment nécessité d’un entrepôt à Buenos-Ayres. Le Paraguay, qui n’est pas même un lieu de transit pour l’Amérique centrale, n’offre, on le voit, comme pays producteur et débouché de nos marchandises, qu’un intérêt fort médiocre à l’Europe.

À défaut d’influence commerciale, ne pouvons-nous au moins espérer d’y fonder notre prépondérance politique ? Il nous faut ici présenter le tableau de l’étrange discipline à laquelle Francia a soumis les peuples du Paraguay. L’histoire seule peut en donner la clé ; nous sommes force de reprendre les choses de haut.

Le Paraguay a joué un rôle important dans l’établissement de l’empire espagnol en Amérique ; Santa-Fé, Buenos-Ayres, Corrientes, aujourd’hui capitales d’état, ne furent à l’origine, que des colonies de l’Assomption. Comment procéda la conquête, on le sait. Des aventuriers dévorés de la fièvre de l’or venaient, comme en France les Normands du IXe siècle, prendre possession du pays en y déployant la bannière royale, et se partageaient la terre en commanderies ou domaines seigneuriaux auxquels ils affectaient une population de serfs de glèbe pour les exploiter. C’était comme une résurrection des temps féodaux. Voilà ce qui amena, en 1527, l’aventurier Sébastien Cabot dans le Parana et le Paraguay. Il trouva là des Indiens qui portaient au cou des lamelles d’argent ; cet argent, on le sut depuis, venait des frontières du Pérou. Cabot envoya le précieux métal en Espagne ; ses récits embrasèrent les imaginations. Le fleuve reçut le nom de Rivière d’Argent, — Rio de la Plata, — et une grande expédition de deux mille sept cents hommes accourut, en 1535, à la conquête du Rey Plateano (roi d’Argent), comme disait la légende vulgaire. Ces conquérans prirent terre au lieu où s’éleva depuis Buenos-Ayres ; puis, toujours en quête du pays de l’or, ils remontèrent le Parana, répétant sans cesse aux sauvages de la rive : Plata ! plata ! et marchant au nord dans la direction que leur indiquaient ces pauvres Indiens.

Le 15 août 1536, ils fondèrent sur le bord du Paraguay, au centre d’une tribu guaranie, une forteresse qu’ils nommèrent l’Assomption. Ce fut la première étape de leur course à la poursuite du roi d’argent qui, comme un feu follet, se dérobait au milieu des lagunes des Xarayes ou son palais d’or et de rubis s’évanouissait avec les nuages empourpré du matin ; toujours sur le point d’être pris et toujours s’échappant ; il les entraînait dans les mortelles fondrières des Chiquitos, à travers des périls et des fatigues qu’on retrouve aujourd’hui sur le chemin de la Californie, jusqu’aux frontières du Pérou : Là, un autre