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ans, à l’exception des garçons. Ceux-ci portent le vaste chapeau traditionnel en latanier pour se conformer à un décret de Francia qui leur enjoint, comme au temps des Jésuites, de se tenir le chapeau à la main devant leurs supérieurs.

Les Paraguayos ne dépensent guère plus d’industrie dans leurs instruments aratoires. Un pieu pointu leur sert de charrue ; d’un os, ils font une pioche ou une bèche. Ils ferment leurs enclos d’un tronc de palmier jeté en travers sur deux morceaux de bois fourchus. Ils dépuillent à la main les graindes du coton, l’arçonnent avec un arc, le filent au fuseau et le livrent à quelque tisseran ambulant qui transporte tout son attiral à dos de mulet et suspend son métier à une branche d’arbre ou à l’angle d’un mur. Leur moulin à sucre n’est qu’un morceau de bois mis en mouvement par des bœufs ; ils font cuire le jus de la canne dans des marmites en terre. La seule maison peut-être qui possède des chaudières de cuivre est la ferme que sruveille Mme la présidente de la république. Les planches se débitent à la main, le blé se pile dans un mortier, le riz se nettoie à peut près de la même façon ; on prépare le tan avec une pierre qu’on roule sur un plateau de bois. Pourtant, dans ce massif ondulé de l’Assomption, les sources et les ruisseaux abondent ; il serait si facile aux habitans d’établir des usines sur les cours d’eau ! Mais qu’ils aiment bien mieux s’en remttre à la fertilité de leur sol, et, se berçant dans des hamacs en filet accrochés à deux arbres ou sous des galeries à jour, passer de longues heures à contempler leur ciel à travers un nuage de fumée de tabac ! Car ici vieillards, femmes, enfans, tout le monde a le cigare à la bouche. Le rhum qu’ils distillent de la canne à sucre, une infusion de l’herbe célèbre du pays, des gâteaux de miel et des fruits confits font le luxe de leur festins, et les heures du soir s’oublient au son de la guitare ou de la mandoline. Les mœurs patriarcales ont ici conservé leur empire. Chaque soir, avant de grimper au dortoir aérien, toute la famille se réunit, les mains jointes, aux genoux de l’aïeul qui la bénit.

La ville de l’Assomption, bâtie sur la rive gauche du Parana, est adossée à la montagne. On y arrive par de sombres voûtes de feuillage ménagées autrefois contre les sauvages comme des défilés fortifiés. En plein midi, les rayons verticaux du soleil n’y pénètrent pas, et le soir, quand les Indiennes y glissent silencieusement, on les prendrait pour les blanches vapeurs de la nuit. Malgré le caprice qu’eut un jour Francia de la régulariser, de la percer à angles droits de rues larges de trente-six pieds, projet auquel il donna un commencement d’exécution avec une violence inouïe, l’aspect de la cité des conquérans n’a guère changé ; c’est toujours le même labyrinthe de maisons en briques, sans étages, couvertes en tuiles pour la plupart, quelques-unes en terrasse ; de jardins et d’enclos séparés par des rues étroites, tortueuses, sans trottoirs, où l’eau des fontaines se faie un chemin vers la rivière par