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Germanie du temps d’Auguste et aussi vaste, étend ses bois impénétrables, ses savanes, ses marécages, jusqu’aux confins de la Bolivie, du Tucuman, de Cordova, de Santa-Fé. Au sud, les lagunes de l’état de Corrientes et les anciennes missions des jésuites, rendues aujourd’hui à la vie sauvage. À l’est enfin, les forêts encore inexplorées du Brésil, une chaîne de montagnes d’où se précipitent en chutes répétées, sur les rocs et dans des abîmes, un fleuve et de puissantes rivières. Pour pénétrer au Paraguay, il nous reste le chemin des premiers conquérans, le Parana, commun déversoir de toutes les rivières qui tombent au sud des montagnes du Brésil et du Pérou.

Le Parana est aujourd’hui la grande artère de navigation intérieure de la Confédération Argentine. Depuis trois siècles que date la conquête, rien ou presque rien n’a changé dans les grands aspects qui déroulent le long de cette voie. C’est toujours la même masse d’eau qui creuse son sillon à des profondeurs où souvent la sonde se perd, tantôt s’épanouissant en une nappe immense dont l’œil essaie en vain d’embrasser les deux rives, tantôt amoncelant ses ondes dans les étroites passes des îles qui entravent son cours. Parfois le fleuve affleure ses bords et les recouvre de ses débordemens, on se croirait au milieu d’un lac ; puis soudain, plongeant au pied d’un rivage abrupte, d’une barranca, dont la crête surplombe à cent pieds au-dessus de sa surface, il semble fuir dans un abîme. Ainsi va le Parana, aussi large que le Mississipi, pendant près de trois cents lieues, depuis le point où le Paraguay l’enfle de ses eaux jusqu’au Rio de la Plata ou il se perd.

Les premiers navigateurs faisaient merveille des onze embouchures du fleuve, des hauts roseaux qui encaissent leurs bords, et où il semble se jouer parmi les fleurs, des jaguars qui guettent leur proie embusqués dans les arbres suspendus sur ses eaux, tout prêts à étendre leurs griffes sur le rameur qui passe à leur portée ; mais, si l’on monte un navire qui cale seulement huit pieds d’eau, il n’y a pour entrer qu’une seule passe, à travers un labyrinthe de bancs mouvans ; là, malgré le pilote qui, la sonde à la main, explore le chenal, on s’échoue fréquemment. Pendant soixante lieues, jusqu’à Saint Nicolas, charmante petite ville en pente douce sur deux ruisseaux qui se jettent dans le fleuve, on suit une route tortueuse et embarrassée, et il faut profiter d’un frais pampero pour refouler ce courant de trois à quatre nœuds que les poètes de la découverte comparaient au trait d’une flèche. La vue se fatigue dans la monotone immensité des pampas et se perd dans les horizons noyés de la province d’Entre-Rios, renommée pour ses humides pâturages qui nourrissent la plus forte race chevaline de l’Amérique, et pour ses mules que les négocians de Santa-Fé envoient par milliers au Pérou. Çà et là on rencontre quelque misérable barque de caboteurs italiens qui vont de pointe en pointe échanger une pacotille