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qui a été la foi de ses années d’illusion, et qui a fait de lui l’idole de ces natures fières, délicates et doucement exaltées qu’on ne trouve peut-être nulle part en aussi grand nombre qu’en Allemagne.

Le dieu de M. de Humboldt est né dans le cœur de l’humanité, et il se perfectionne à mesure que l’homme élève son niveau de civilisation et par conséquent son idéal. Les peuples primitifs, ne prisant rien au-dessus de la force, adorent un être suprême, qui n’est qu’une personnification de la force ; les Grecs, enthousiastes de la beauté physique, ont fait de leur Olympe une galerie de types admirables pour le sculpteur et pour le peintre, et les nations modernes, s’étant élancées jusqu’à la sphère des beautés intelligibles, sont arrivées au culte chrétien du souverain bien. Il faut avouer que ce Dieu élaboré dans la conscience humaine, ce Dieu fils de l’homme et fait, pour rappeler le mot de Fontenelle, à son image, courrait grand risque de tomber dans le néant si l’humanité s’avisait un jour de ne plus le reconnaître et de renier une paternité dont les charges, portées si long-temps, auraient fini par épuiser sa patience. Il est évident que ce Dieu n’existerait plus alors, puisqu’il n’existe aujourd’hui que par la grace de l’homme, qu’il n’a qu’une existence purement idéale, par conséquent purement nominale, et que, à dire crûment la chose, il n’existe réellement pas. Il est bon, il est nécessaire d’user de courtoisie envers les personnes, il n’est pas permis d’être poli envers les choses, et, il faut le dire, cette belle théorie de M. de Humboldt, admirée et caressée par tant de généreuses intelligences de l’autre côté du Rhin, n’est, après tout, qu’un athéisme mitigé qui s’accorde fort bien avec une glorification presque socialiste de l’humanité et avec un soin orgueilleux de la soustraire partout où la chose est possible aux entraves de la règle. Cependant M. de Humboldt n’est avoué ni par les démocrates ardens, ni par les athées prononcés. Il plaît aux esprits modérés, aux esprits d’élite, qui s’indigneraient, si on les accusait d’athéisme. C’est que M. de Humboldt est un libre penseur de fort bonne compagnie, qui aime par nature les précautions et les tempéramens. Il y a d’ailleurs chez lui une haute et délicate faculté d’analyse, bien faite pour séduire le public allemand. Quant au public français, ce livre traite de questions qui lui deviennent de plus en plus familières, et il serait à désirer qu’on cherchât à populariser par la traduction ce remarquable essai d’un des penseurs les, plus distingués de l’Allemagne moderne.


v. de mars.



V. de Mars.