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des intérêts et des principes auxquels il s’appuie, mais il ne les pousse en aucun sens jusqu’à cette exagération où ils arrivent infailliblement, quand on les identifie avec des questions de personnes. C’est là vraiment l’esprit moderne, et si nous nous apercevons tous qu’il circule autour de nous, pourquoi ne se produirait-il pas dans l’assemblée de révision ? Pourquoi n’y dominerait-il point les partis qui le méconnaissent, et s’affaiblissent de plus en plus en le méconnaissant ?

On a trop aperçu cette faiblesse des partis dans la discussion préparatoire des bureaux ; au lieu de chercher à s’unir sur le fond commun où l’esprit public voudrait les mettre d’accord, ils n’ont cherché qu’à se prononcer sur leurs différences, et ils les ont encore ainsi plutôt envenimées qu’atténuées. On a trop vu comment l’assemblée se divise en légitimistes, orléanistes, bonapartistes et républicains de toute nuance. Les légitimistes ont, pour leur compte, singulièrement accusé la leur en s’abstenant, ou en votant au profit des membres de l’opposition avancée, malgré le bon exemple de conciliation politique donné par N. Berryer. Les hommes qui ont la vieille expérience ou du moins le tact de l’opinion publique savent encore discerner le moment où elle se refuse à s’engager avec ses chefs ordinaires dans des aventures qui ne l’attirent plus. Le malheur est que les nouvelles recrues des partis aspirent à leur tour à briller au premier rang, et rompent ainsi davantage avec le corps d’armée qu’ils s’imaginent commander, en prétendant aller plus loin que leurs anciens leaders. La commission comprend de la sorte sur quinze membres six adversaires de la révision, et, sur les neuf qui défendent cette mesure, il n’en est presque pas qui l’entendent de même. Cette dissémination des volontés ne se retrouve certainement pas dans le pays au même degré que dans le parlement ; c’est pour cela que le pays est appelé non pas à peser sur les décisions parlementaires, mais du moins à leur imprimer peut-être une direction plus ferme et plus unie.

Nous n’avons fait qu’indiquer jusqu’à présent l’épisode regrettable qui ouvre l’histoire de cette quinzaine, l’improvisation trop inattendue de M. le président de la république à Dijon : nous ne voudrions pas nous y arrêter beaucoup plus ; nous sommes trop sûrs que ce n’est point avec des écarts de langage, avec des représailles de tribune à tribune, que l’on introduira dans le parlement et dans le pays cette unité d’intentions qui serait si nécessaire. Nous avons eu plus d’une fois l’occasion de le dire : le président de la république est exposé par sa situation et par son nom à une erreur dont il ne s’appliquera jamais trop à se garder, — ’est l’erreur des princes absolus, c’est l’illusion séduisante de se croire aimé pour soi-même. Nous ne savons pas si ces princes ont été jamais appelés par d’autres que par les historiographes de cour du nom de bien-aimé, du nom de désiré ; c’est toujours leur faire honneur de croire que c’était la flatterie qui leur agréait le plus. Cette flatterie avait peut-être encore quelque fondement dans la vieille France, nourrie des souvenirs du dévouement féodal ; elle n’en a plus dans la France d’aujourd’hui. Ceux qui disent autre chose au président de la république ne font, pour ainsi dire, que lui ouvrir des portes qu’il est aussitôt obligé de refermer lui-même avec l’embarras de s’y être présenté sans y pouvoir passer. Il s’y résigne sans doute de bonne grace et toujours à temps ; il