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mieux que certains autres qui se sont trop repentis, et qui, dans l’excès de leur contrition, deviennent d’aussi dangereux pénitens qu’ils ont été de maladroits pécheurs. Quant aux pécheurs obstinés, qui très sincèrement ne veulent point de la révision, parce que le gouvernement ne peut guère ne point en vouloir, et qu’il ne faut en rien vouloir ce que veut le gouvernement ; quant à ces opposans de profession, qui ont les idées en général beaucoup plus simples qu’on ne croit, leur simplicité est trop heureuse de se retrancher à l’abri de ce prétexte, qui a pour eux l’aspect authentique et solennel d’un chiffre. Ils y vont en tout bien tout honneur ; ils jurent sur la parole de M. de Girardin ou de M. Crémieux. Onze millions d’électeurs ont nommé les députés de la législative, comment sept millions suffiraient-ils pour nommer une constituante ? Onze millions sont plus que sept, voilà les chiffres, les chiffres de M. de Girardin ; qu’y pouvons-nous faire ? vous diront-ils avec candeur. Otez-leur le prétexte, répondront de bonnes ames, puisque le prétexte les blesse. Notre avis à nous est qu’on ne discute jamais, pas plus qu’on ne transige utilement, ni avec les opiniâtres ni avec les naïfs, et que ce prétexte ôté ils en découvriront ou ils en accepteront un autre.

Nous ne sommes point positivement à genoux devant la loi du 31 mai ; nous lui rendons cependant quelque chose de plus que le culte ordinaire dont nous nous sentons redevables à toutes les lois : nous nous rappelons qu’elle a été la première victoire pacifique des pouvoirs réguliers sur l’anarchie menaçante. Ce point lui demeurant bien et dûment acquis dans notre reconnaissance, il ne nous coûte guère de confesser que nous n’avons pas d’illusions exagérées sur sa valeur intrinsèque. Personne, lorsqu’on l’a faite, n’a prétendu la faire en perfection : on l’a faite comme on pouvait, puisque, ayant les mains liées, on ne pouvait la mieux faire. La constitution de 1848 avait eu l’à-propos d’être en même temps une loi organique de l’électorat ; elle l’avait organisé sans garanties, sous ombre de l’organiser sans privilège. Il y eut bientôt un moment, et nous n’en perdrons pas si vite la mémoire, il y eut un moment où la société ressentit jusqu’au fond de ses entrailles le besoin de ces garanties, que la constitution lui refusait, pour procéder à la formation de son pouvoir le plus essentiel, du pouvoir législatif. On s’aperçut vite que le suffrage universel, abandonné à lui-même, livré pour ainsi dire à la promiscuité désordonnée avec laquelle on l’avait confondu, était bien moins un bouclier pour la république contre les factions qu’une arme pénétrante dirigée contre le corps social par la main des nouveaux barbares. Beaucoup des gens qui dénigrent aujourd’hui fort à l’aise la loi du 31 mai éprouvèrent alors ces mortelles inquiétudes dont la loi du 31 mai a tant bien que mal amoindri les causes. Que pour régulariser l’exercice du droit de suffrage il eût été mieux de modifier les conditions de l’âge ou du vote que d’aggraver peut-être assez rudement celle du domicile, rien de plus clair ; mais, puisque la constitution empêchait le mieux, il a bien fallu se réduire à ce que la constitution n’empêchait pas. Nous ne disconvenons point que fixer à vingt-cinq ans la capacité de l’électeur, ou le dispenser de voter par scrutin de liste, c’eût été d’une moindre difficulté que de l’obliger à trois ans ; de domicile ; mais à qui la faute, si l’on n’a pas eu le libre choix du procédé le plus rationnel dans un amendement indispensable ? Et qu’est-ce que cela prouve, sinon la nécessité d’une autre constituante, non point pour abolir, — pour refaire