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mais n’admirez-vous pas combien cette lyre populaire, lorsqu’elle est touchée par le peuple lui-même, a tous les tons ? Maniée par un homme des classes plus élevées de la société, elle n’en rend que deux, avons-nous dit : la violence ou l’amour ; et, que ce soit l’un ou l’autre, ils seront toujours empreints d’une certaine monotonie, car je ne prends pas pour des chants populaires les ballades de Goethe ou de Uhland, tirées de vieux chants et arrangées par l’esprit des deux poètes. Nous avons lu certains de ces chants sur lesquels Goethe a composé quelques-unes de ses plus remarquables pièces lyriques ; nous sentons bien dans les pièces de Goethe la vie générale de l’Allemagne, mais beaucoup moins la vie particulière du peuple allemand. La reproduction de la vie du peuple, voilà cependant quel devrait être l’élément principal de la poésie populaire ; mais les poètes ne nous donnent d’ordinaire que des fables et des sentimens qui leur sont personnels, et qu’ils tirent de leurs inspirations, en ayant soin seulement de les placer dans un cadre familier au peuple, et de les rattacher à quelqu’un des sujets qui lui sont chers. Cela peut être une ruse littéraire fort habile, mais cela ne constitue pas en vérité une poésie populaire.

Puisque nous parlons des ruses littéraires, nous en signalerons une qui a bien son importance, et qui n’est pas précisément favorable à la poésie prétendue populaire. Il arrive assez fréquemment que les poètes se contentent d’un terme moyen, d’un à peu près superficiel, et qu’ils composent des chants à demi naïfs, à demi littéraires, propres à captiver à la fois les habitués des salons et les hommes des classes inférieures par leur apparence de naturel. Pour les connaisseurs véritables, cette poésie est aussi peu de la bonne poésie populaire que les peintures du Guide sont de la bonne peinture italienne ; mais la foule, qui n’y regarde pas de si près, accepte parfaitement le mélange. C’est là un cas assez fréquent, et, parmi les poètes de notre époque, on pourrait citer des noms et même de très illustres, non-seulement en France, mais encore en Angleterre, qui ont dû à cette ruse une bonne partie de leur réputation. Cela s’appelle, dans les termes du métier littéraire, trouver sa manière, créer son genre : c’est à coup sûr une façon de se faire une place à part, de se constituer le propriétaire d’un domaine inexploré ; mais combien cela est loin de l’idée qu’on doit avoir de la poésie populaire ! En vérité, on peut, par ce moyen, devenir un poète fort remarquable, on peut parvenir même, cela aurait pu se voir, au fauteuil académique ; quant à mériter d’être l’interprète des secrets du peuple, oh ! non ! N’a pas qui veut le droit et le devoir de parler en son nom, et tous ceux qui ambitionnent cet honneur ne l’obtiennent pas par cela seul qu’ils le cherchent. Qu’ils se contentent d’être ce qu’ils sont, des poètes et des lettrés. Tout cela nous montre assez comment