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c’est le peuple lui-même qui raconte sa vie et qui chante ses passions et ses mœurs. Les poésies populaires véritables, celles qui ne sont point composées par un poète lettré ou par un homme des classes élevées (educated, comme disent très bien les Anglais), sont empreintes d’un calme singulier, d’une tendresse, d’une grace naïve et d’une douceur infinie. La gaieté et la bonne humeur y brillent partout, mais se manifestent rarement comme des éclats bruyans de bonheur passager ou comme le résultat de plaisirs et de divertissemens d’un instant : on dirait plutôt un état permanent de l’ame. Une douce joie circule à travers tous les anciens chants populaires comme le sang dans le corps, et répand partout, comme lui, la même plénitude de vie, la même santé, la même force. Cette bonne humeur ne trahit nullement un contentement puéril ou une grossière joie de vivre : ce qu’on y reconnaît surtout, c’est une facilité singulière à s’arranger de tous les événemens de l’existence, une aisance à prendre la vie que toutes les habitudes du monde ne donneront jamais au plus accompli gentleman. De cette naïve confiance dans la vie résultent un bon ton naturel, un bon goût, une finesse de tact et une délicatesse de sentimens qui se rencontrent rarement, même chez les plus grands poètes. Ne vous hâtez pas trop, lettrés, de déclarer que ces chants sont incomplets et incorrects ; — toutes ces chansons, ballades, légendes, refrains, prouvent un fait incontestable : c’est que, laissée à elle-même, l’intelligence du peuple est plus près de la nature, comprend mieux les véritables lois de l’existence que l’intelligence du poète, du lettré et du savant. Il n’y a jamais dans ces chants de sentiment anormal ou qui ne soit pas justifié ; il y a de la tristesse souvent, mais elle est toujours motivée, elle a toujours pour cause, remarquez-le bien, un motif irréparable, la mort, les longues absences, le déshonneur, la séduction. Dans le désordre apparent de la composition, dans les contrastes de brutalité et de grace qui nous semblent le fait de natures illettrées et grossières, il y a le plus souvent au contraire un bon sens d’une exactitude irréprochable. J’ai remarqué, par exemple, que, dans tous les chants populaires dont le sujet roulait sur l’amour et la séduction, le langage de l’amoureux était empreint d’une grace irrésistible et pleine de pudeur, tandis que le fait de la séduction était immédiatement après exprimé brutalement, avec une crudité impitoyable : c’est qu’en effet le langage de la séduction est toujours aimable, tandis que le fait de la séduction n’est rien moins que beau. Quant aux chants qui ont un accent religieux, rien n’en égale la mystique innocence et la douceur ; l’ame et le cœur s’y fondent devant Dieu comme la neige immaculée sous les rayons du soleil. Tels sont quelques-uns des caractères de tous les chants populaires, qu’ils viennent de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Écosse, et même de la France ;