Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/1144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

communique sa tendresse et sa grace. Avez-vous vu les gravures des vieux maîtres allemands, d’Albert Dürer, de Lucas de Leyde, où Jésus est représenté descendant dans les limbes pour délivrer les ames des patriarches qui y demeurent captives ? Autour de lui grimacent, rampent et mugissent toutes les bêtes du chaos, tous les défenseurs et tous les alliés du péché et de la mort. Telle est l’image du poète populaire ; dans les profondeurs où il descend, il rencontrera infailliblement, et surtout de notre temps, le même spectacle, des ames non encore rachetées, en proie à tous les caprices du mal ; — des vertus sur lesquelles le vice s’acharne obstinément, qu’il cherche à entamer, comme le vautour qui rongeait incessamment le foie de Prométhée ; — des désirs qui rampent tristement à terre, semblables à ces fleurs qui montent lentement le long des murs humides des souterrains et des caves pour atteindre à la lumière. Malheur au poète populaire, s’il ne s’arme pas de mansuétude et de fermeté ! Selon le langage qu’il tiendra à cette foule d’ames captives de leur ignorance aussitôt qu’elles cessent d’être spontanées, victimes de leurs passions aussitôt qu’elles cessent d’être naïves, il entendra s’élever du sein de cette multitude une prière implorant le secours d’en haut ou un chant de sauvage triomphe ; mais incontestablement ce sera l’un ou l’autre : si ce n’est pas le De profundis clamavi ad te qui s’élève, ce sera le chant de l’abîme qui désespère de lui-même, comme dit si éloquemment Calderon.

Interrogée par un poète des classes lettrées, encore une fois l’ame populaire ne répondra que par ces deux accens, elle ne rendra que ces deux vibrations simples et infinies. Le poète rencontrera dans le peuple le bien et le mal marchant sans aucune de ces lisières que la société nous impose et que l’éducation nous attache, afin de rendre les passions moins hideuses et de faire paraître l’homme plus agréable qu’il ne l’est en réalité aux yeux de ses semblables. Que celui qui aspire à être un poète populaire fasse donc son choix entre cette double facilité qu’il rencontrera en s’adressant au peuple, — de servir le bien ou le mal.

Voilà les écueils redoutables contre lesquels peut venir se briser le poète qui se donne la mission de parler au nom du peuple. Il est remarquable que tous les poètes dits populaires ne sont jamais, après tout, que des poètes de partis ou de sectes. Les uns nous rendent l’ombre de Tyrtée, les autres l’écho affaibli des anciens prophètes ; mais que nous apprennent-ils en réalité sur la vie du peuple, sur ses douleurs et sur ses joies ? A peu près rien. Ils ont vu les mœurs, les habitudes du peuple, et, comme ils n’y ont reconnu ni leurs mœurs ni leurs habitudes, ils s’en sont détournés avec pitié et avec fureur, — ils ont tonné contre les puissans d’ici-bas ou ont imploré leur secours ; mais, voyez le miracle ! tous ces dangers et toutes ces erreurs n’existent point lorsque