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à la fois ; toutes les voix retentirent : « Saute, marquis ! saute, marquis ! » cria-t-on d’un côté pendant que l’on hurlait de l’autre bis ! bis ! Ce devint un hurrah général, et la foule, enivrée de ses clameurs, se jeta sur la troupe pour lui disputer le corps du supplicié qu’elle voulait traîner par les rues. Les soldats durent croiser la baïonnette ; ils eurent grand’peine à n’être point débordés. Le corps de Favras fut respecté cependant. On le donna à sa famille en échange d’un reçu, et il fut inhumé le soir même à Saint-Jean-en-Grève.

Mme de Favras n’apprit que le lendemain, par la voix d’un crieur public qui passait sous la fenêtre de sa prison, le jugement de son mari et son exécution. Elle tomba à la renverse et s’évanouit. On la mit en liberté. On l’avait arrêtée sans cause, on la rendit à sa famille sans jugement, et sa détention n’a jamais été expliquée. Pendant plusieurs jours, il ne fut question dans Paris que du procès de M. de Favras ; il servit de prétexte à des récriminations violentes dans tous les journaux. Les partis opposés se rejetèrent réciproquement la responsabilité de cet événement ; aucun ne l’accepta. Les amis de la victime publièrent des pamphlets où ils mirent plus de courage que de mesure, plus de dévouement que de savoir-faire. Puis la révolution grandit, et emporta dans son tourbillon jusqu’au souvenir de cet épisode.

Il nous a semblé qu’en ces jours où l’on fait si facilement des héros, où l’on conquiert la gloire à si bon compte, où il suffit de prononcer le mot de liberté et d’ajuster un soldat qui défend les lois pour laisser un nom qui sera gravé sur les tables du Panthéon ou de la colonne de la Bastille, il pouvait être utile d’évoquer la mémoire de l’un de ces hommes qui avaient gardé la religion du passé. Le mot de Brennus doit être odieux à tout le monde, et peut-être s’est-on trop pressé d’ailleurs de jeter l’anathème aux vaincus. Qui sait où aboutira la pente sur laquelle la France est emportée depuis 1789 ? Notre temps a démenti bien des espérances, justifié bien des craintes, autorisé toutes les appréhensions. Nul ne connaît le mot de l’avenir, et le spectacle auquel nous assistons doit rendre au moins très indulgent pour ceux que la révolution ne laissait pas sans méfiance et sans arrière-pensée. Toute conviction sincère est d’ailleurs respectable, la justice est due à tous les dévouemens, et, à côté des hommes qui ont voué généreusement leur vie au culte des idées nouvelles, l’histoire impartiale doit une place à ceux qui, ayant au contraire foi dans les traditions de leurs pères, leur restèrent fidèles et moururent pour les défendre.


ALEXIS DE VALON.