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quart, M. de Favras sortit, Joffroy appela un des officiers, suivit M. de Favras jusqu’à la rue Beaurepaire ; là, il lui sauta au collet et l’arrêta, suivant les ordres qu’il venait de recevoir. Le même jour, dans le même instant, à neuf heures du soir, on arrêtait, Place-Royale n° 21, Mme la marquise de Favras, et on saisissait les papiers de son mari. Là, ce n’étaient point seulement des officiers d’état-major qui opéraient : c’était l’aide-de-camp même de M. de Lafayette, M. Masson de Neuville, qui en a déposé publiquement et qui a signé le procès-verbal de cette arrestation[1]. M. et Mme de Favras, amenés d’abord à l’Hôtel-de-Ville, où ils subirent pendant la nuit un premier interrogatoire et conduits ensuite à la prison de l’Abbaye-Saint-Germain, furent enfermés séparément et mis au secret. Le soir même, on parla vaguement dans les cafés et dans les rues de l’arrestation de plusieurs aristocrates ; mais, dès le lendemain, un billet ainsi conçu et tiré à des milliers d’exemplaires courut dans tout Paris et fut reproduit par plusieurs journaux : « Le marquis de Favras et la dame son épouse ont été arrêtés hier pour un plan qu’ils avaient fait de soulever trente mille hommes pour assassiner M. de Lafayette et le maire de Paris, et ensuite nous couper les vivres… Monsieur, frère du roi, était à la tête[2]. » Cet écrit, signé Barauz, colporté dans les clubs, lu à haute voix sur les bornes, commenté dans les groupes, donna la fièvre à toute la ville. L’opinion publique s’exalta sur-le-champ jusqu’au délire, se réjouit du drame qui lui était promis, en esquissa d’avance les principales scènes, en arrangea le dénoûment. La vérité, si elle était simple, n’avait plus aucune chance d’être acceptée par la foule, dont la curiosité était affriandée. Enfin ce fut à l’occasion de cet écrit et pour lui répondre, que Monsieur alla le lendemain, sur le conseil de Mirabeau, faire à la commune le discours dont nous avons parlé. Cette démarche justifia jusqu’à un certain point l’émotion de la veille, et assura l’importance du complot. Quel qu’il fût, celui qui avait lancé ce billet perfide sous forme d’annonce et de préface avait réussi. La mise en scène était habile, et le public était préparé. Cet homme, qui avait pris le nom de Barauz et qu’on ne put pas découvrir, bien que 500 louis eussent été promis publiquement par le comte de Provence à qui le dénoncerait, quel était-il ? C’était, à ce qu’il semble résulter de quelques dépositions inédites[3], un tailleur du nom de Posel, aidé d’un coiffeur nommé Brichemier. Ils avaient fait, dirent-ils, la chose par plaisanterie, et l’on feignit de le croire. C’était se montrer de bonne composition ; mais, à distance, les plaisanteries qui ont de pareils résultats sont jugées différemment,

  1. Affaire Favras. Interrogatoires et procès-verbaux. (Archives de la préfecture, pièce 5.)
  2. Moniteur, 29 décembre 1789.
  3. Archives de la préfecture, pièce 8.