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ont été pour ainsi dire la raison d’être des hommes de lettres, sont Voltaire et Lessing. Je ne sais plus quel écrivain a prétendu qu’il y avait eu au XVIIIe siècle une société secrète de philosophes formée en vue de démolir le gouvernement établi, société secrète dont Voltaire aurait été l’ame et le secret inspirateur. Il n’est point besoin de recourir à des inventions de ce genre, les faits patens et avérés parlent assez haut. Il y a deux époques bien tranchées dans la vie de Voltaire : dans la première moitié de sa carrière, il semble n’être occupé qu’à préparer l’autre ; il cherche des instrumens, des soutiens, des auxiliaires ; il travaille à se rendre indépendant, à se concilier les puissances, et cherche partout l’armée qui lui manque. Déjà plein de gloire ; on le voit aider de sa protection, de son argent, de son influence, les jeunes talens à leur début, s’emparer d’eux et les attacher à sa personne par les liens de la reconnaissance, du dévouement, de l’admiration, voire de la vanité et du besoin. Une fois que cette armée est rassemblée, il la lance contre l’ennemi. L’Encyclopédie est pour ainsi dire la première manifestation qui témoigne de l’apparition de nouveaux chefs. À partir de l’année 1750, le siècle a reçu son impulsion définitive. De toutes parts les pamphlets pullulent ; les premiers journalistes apparaissent. Destructeurs, cyniques d’un monde corrompu, des esprits ardens et fanatisés vont levant tous les voiles, répandant l’erreur presque avec naïveté et le mensonge avec sincérité. — Plus d’abus, s’écrient-ils sur tous les tons ; plus de mensonges, — et ils vont détruisant les vieux symboles, déchirant tous les oripeaux usés pour nous montrer la nature dans sa plus obscène nudité. Voilà quelle fut la part de Voltaire dans la création de la classe des hommes de lettres ; cette part est la plus grande.

De son côté, que fit Lessing ? Un jour, il s’aperçut que l’Allemagne n’avait pas de littérature, et il résolut de lui en donner une. La difficulté était grande, car une littérature ne se crée pas à priori, car la poésie et les arts ne sont que la reproduction et l’expression naïves de la vie. Le poète, en effet, n’avait jamais été un homme de lettres ; il avait toujours été un homme qui s’était simplement avisé d’exprimer les impressions que les accidens de la vie ou les phénomènes de la nature avaient éveillées en lui. Lessing n’avait qu’un moyen de créer une littérature, c’était de rechercher au fond de toutes les œuvres naïves les principes mêmes sur lesquels le poète s’était appuyé sans le savoir et par instinct, les élémens qu’il avait employés sans en connaître la valeur philosophique, en un mot d’analyser et de dépecer toutes les œuvres des temps passés, pour y découvrir les lois mêmes de l’art et de la poésie. Il fut ainsi le père d’une littérature qui s’appuya sur la critique et sur l’analyse, d’une littérature qui s’efforça de retourner à la naïveté par son contraire, la science, mais qui a toujours gardé, malgré les prodiges qu’elle a accomplis, l’empreinte de