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La raison continuera, il faut l’espérer, cette pacifique croisade. Bien des malentendus qui ne pouvaient, il y a soixante ans, s’expliquer que le sabre à la main, se résoudront à l’amiable ; on transigera, on parlera avec ceux qui parlent et qui transigent, et quand le traité sera conclu avec les philosophes sincères et les philanthropes convaincus, quand la question sera posée nettement, à la face du ciel, entre les honnêtes gens et les bandits, la solution, qu’on se le persuade, ne se fera pas long-temps attendre. À la fin de 1789, sous la royauté, on ne pouvait dire qu’au péril de sa vie qu’on aimait le roi et qu’on préférait la monarchie qui existait à la république que d’autres voyaient en songe.

En remettant cette brochure à Marquier, le marquis de Favras ; cela paraît prouvé par la procédure, avait marqué la page 51. Il lui en avait recommandé particulièrement la lecture, et le tribunal y vit un crime. Ouvrons donc cette page formidable, qui s’adresse aux gardes françaises. — « Les gardes françaises ont été trompés, ils en conviennent, et leur repentir se manifeste chaque jour ; ils sont prêts à rentrer dans le devoir pour n’en jamais sortir. Il ne leur manque qu’un homme qui sache les ramener dans les voies qu’ils suivaient autrefois… Eh bien ! soldats, c’est à vous gardes françaises que je parle, vous en trouverez un, c’est moi. Je me lie à vous ; je sais les risques que je cours, mais vous me défendrez, et, si l’on m’assassine, vous vengerez ma mort ; j’aurai sauvé la patrie, et je mourrai content. (Je me ferai connaître dès que vous le désirerez.) »

En fin de compte, on proposait aux gardes françaises de reprendre leur uniforme, leur nom, leur service auprès du roi et tous les avantages d’un corps privilégié. C’en était assez pour qu’on vît dans cette publication anonyme une tentative d’embauchage. Le lieutenant Marquier lui-même, malgré ses bonnes dispositions pour le roi, fut effrayé de la violence de ce pamphlet, qu’on lui remettait avec des précautions mystérieuses. Il ne vint plus à la Place-Royale et ne revit pas le marquis de Favras, dont il ignorait toujours le nom. Qui avait écrit cette fameuse brochure ? On l’attribuait en général à M. de Biron, et M. de Favras fut déclaré coupable seulement de l’avoir approuvée et propagée. On pouvait aller plus loin, et il semble fort probable, bien que cette idée ne soit encore venue à personne, que le marquis de Favras fut l’auteur d’Ouvrez donc les yeux ! Pour peu que l’on étudie avec soin cet écrit, on y retrouve les sentimens qu’il exprimait à tout propos, ses procédés de style et jusqu’à ses expressions favorites. M. de Favras avait, entre autres manies, la manie d’écrire ; il aimait à se mettre en avant, et il se dévoile complètement dans l’offre qu’il fait aux gardes françaises de les commander, dans son rêve éternel d’être le sauveur de son pays, et surtout dans un post-scriptum final où il prend soin d’attaquer avec