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parti de l’aristocratie et de la cour ; mais on se trompe étrangement quand on le classe un des premiers parmi les champions de la résistance absolue, de la noblesse à tout prix et du statu quo sans concession ; on s’abuse en le jugeant à la hâte et sur ses malheurs. Il était à la fois royaliste et libéral, très libéral même pour un officier de son temps. Sans doute, il n’avait qu’une confiance très limitée dans les idées américaines et dans les plans de M. de Lafayette ; il ne trouvait pas irréprochable la nouvelle constitution, et il a dit publiquement, sans s’être jamais rétracté, que, tant que les bourgeois ne quitteraient pas les armes, on ne serait ni tranquille, ni heureux en France. Quantité de gens émettent de nos jours des opinions équivalentes, on ne leur en fait pas un crime, et dès cette époque la prise de la Bastille, les massacres qui l’avaient suivie, les emportemens de quelques orateurs de l’assemblée, à travers lesquels on devinait déjà les violences de l’avenir, tenaient beaucoup d’hommes, même très intelligens, en garde contre les novateurs. Alors comme aujourd’hui, le progrès effrayait beaucoup de bons esprits, parce qu’il était mal défini ; on voulait connaître toutes les conditions du nouveau programme avant d’y souscrire, on se méfiait des codicilles et des articles sous-entendus ; l’avenir prouva que l’on n’avait pas tort et donna raison trop tard à ceux qui pensaient avec M. de Favras qu’il fallait réformer peu à peu, mais non détruire tout à coup. « Ce qui vous importe, messieurs, écrivait-il aux électeurs de la prévôté et de la vicomté de Paris avant la prestation des sermens[1], ce qui vous importe, l’objet contre lequel vous devez vous prémunir est de vous perdre dans un dédale d’innovations dont les suites pourraient porter atteinte aux droits de la couronne, à ceux du peuple français, à la sûreté individuelle, aux propriétés, à la liberté des suffrages… On ne pourrait substituer à une possession immémoriale des droits des Français et de son roi qu’une forme de gouvernement, soit aristocratique, soit démocratique, qui permettrait indubitablement une plus grande extension à l’arbitraire, et nous aurions la forme de gouvernement la plus oppressive pour les peuples, sous l’apparence trompeuse d’une liberté plus grande. » En vérité, si ce langage n’était pas celui d’un révolutionnaire, il n’était pas non plus celui d’un conspirateur ; le bon sens pouvait parler ainsi en 1789, et notre époque est là pour justifier toutes les opinions de ce genre. Il était nécessaire de planter ces jalons, de bien préciser, par ses paroles mêmes, les idées politiques du marquis de Favras avant de le montrer à l’œuvre, car, on ne saurait trop le répéter, une sorte de fatalité domine la vie de cet homme, et les événemens peuvent aisément

  1. Cette brochure est de 1789. Il en existe un exemplaire à la bibliothèque du Louvre.