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et l’on ne faisait rien. Il va sans dire que le marquis de Favras, l’homme à projets par excellence, ne restait pas inactif au milieu de cette excitation générale. « Je l’ai beaucoup connu à cette époque, me disait dernièrement un des hommes les plus illustres et les plus aimables de notre temps ; il venait assez souvent dîner chez mon père. Le pauvre diable n’était pas riche ; je le vois encore avec sa belle figure, sa haute taille et son habit noir un peu râpé. Il avait toujours quelque pancarte en poche, et nous expliquait le soir, avec beaucoup de chaleur et d’entrain, des plans qui étaient peut-être très bons, mais que nul ne songeait alors à exécuter. » Lorsque la guerre éclata en Hollande, il eut l’idée de lever une légion et d’aller offrir ses services au parti patriotique. Ce fut à cette occasion qu’il fit connaissance, pour son malheur, avec un officier recruteur, nommé Tourcaty, qui devait jouer, comme on le verra, un rôle terrible dans sa vie. La pensée d’aller combattre en Hollande pour le bon droit était assurément très louable, il était même d’une bonne politique de prêter main forte, à charge de revanche, à un pays dont l’alliance pouvait, dans l’occasion, n’être pas à dédaigner ; mais il n’a jamais été facile de lever une légion sans argent : aussi M. de Favras, malgré toute son activité, échoua-t-il complètement. Les publicistes qui ont prétendu le contraire et qui lui ont donné le commandement de cette légion se trompent ; il ne l’a jamais vue et commandée qu’en rêve. Il en convient lui-même dans un mémoire aujourd’hui fort rare, et daté de la prison du Châtelet[1].

La guerre ne lui réussissant pas, il se tourna vers l’administration. Il inventa, écrivit, publia et fit distribuer, en 1785, aux états-généraux des plans pour remplacer les barrières enlevées par les Autrichiens dans les Pays-Bas. Enfin il s’adonna tout-à-fait aux finances, c’était la question à l’ordre du jour. Un vaste projet d’administration économique fut élaboré par lui. Il cherchait, comme tant d’autres alors et depuis, le gouvernement à bon marché, et son travail n’était pas sans mérite. Mirabeau le lut, et il paraît constant qu’il l’approuva. D’autres députés encouragèrent aussi M. de Favras, qui put avoir l’espérance de voir enfin une de ses idées prise en considération par l’assemblée nationale. Pour mieux suivre cette affaire et pour tenir en haleine le zèle des représentans qu’il connaissait, il alla s’établir à Versailles au mois de juin 1789. C’est là qu’il devait rencontrer la politique pour la première fois ; à dater de ce jour, sa vie doit être étudiée de plus près, car son rôle appartient à l’histoire. Les opinions politiques de M. de Favras n’étaient pas douteuses, il n’en fit jamais mystère. Son origine, ses services, ses relations, la reconnaissance même, le rangeaient dans le

  1. Mémoire pour Thomas de Mahi, marquis de Favras – Prix 36 sols ; chez Briand 1790. – Il en existe un exemplaire à la Bibliothèque nationale.