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Nommé chevalier de Saint-Louis, le marquis de Favras avait acquis, en 1772, la charge de premier lieutenant des Suisses de Monsieur, qui donnait le rang de colonel.

Il s’était cru sans doute obligé de prendre, à cause de son mariage, un certain rang à la cour, et le comte de Provence dut remarquer très particulièrement ce simple officier aux gardes qui avait épousé une princesse. Ce qui le prouve, c’est que, connaissant sa gêne pécuniaire, il lui accorda sur sa fortune particulière une pension de 1,200 livres pour subvenir aux frais d’éducation de son fils. M. le comte de La Châtre, premier gentilhomme de la chambre de Monsieur, s’employa dans cette circonstance en faveur de M. de Favras avec un zèle et un intérêt qui ne se démentirent jamais. La destinée semblait donc lui sourire, tout lui réussissait. Un mariage inespéré, un grade important, la protection du frère du roi, l’amitié d’un grand seigneur, c’étaient assez de succès à trente ans. Il paya cher ces faveurs apparentes du sort ; il n’en est pas une qui n’ait plus tard tourné contre lui ; en contemplant de loin et dans son ensemble la vie de cet homme, on voit sous tous ses pas, sous toutes ses actions, sous tous ses bonheurs même, le doigt de la fatalité. Les honneurs donc manquaient moins à M. de Favras que l’argent. Une rente annuelle de 1,000 florins, une petite pension pour son fils et les appointemens assez minces de lieutenant aux Suisses, ce n’était pas de quoi faire une très grande figure à la cour. Il s’aperçut même bientôt que ce n’était pas assez pour y vivre convenablement, et il donna sa démission. Il lui paraissait sage de se réfugier dans une sphère plus modeste en attendant que son esprit, toujours en travail, découvrît la route de la fortune. Avoir un prince pour beau-père et ne pas pouvoir payer son carrosse, c’était, à vrai dire, surtout à cette époque, une absurde anomalie.

Ce fut en 1776 que le marquis de Favras quitta le service. Sans lui ôter son grade, on le mit en non-activité ; il fut, comme on le disait alors, attaché à la suite. Il prit à Paris un petit appartement Place-Royale, n° 21, en face de l’impasse de Guéméné[1], et vécut obscur pendant plusieurs années. C’était alors le moment des systèmes ; déjà l’on sentait passer en France le souffle de la révolution, et chacun proposait le moyen de la conjurer. On prenait parti pour Turgot ou pour Necker, pour M. de Calonne ou pour M. de Brienne ; on composait de tous côtés des plans de finance admirables. Alors comme aujourd’hui, on sentait qu’il y avait quelque chose à faire, on cherchait

  1. Cet hôtel, dont les croisées donnent, du côté opposé à la Place-Royale, sur l’impasse de Guéméné, porte aujourd’hui le n° 4.