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détails sont absolument inconnus, vint donner raison à l’ambition de M. de Favras. Il épousa tout à coup, en Allemagne, la princesse Caroline d’Anhalt, fille légitime du prince d’Anhalt-Bernbourg-Shaumbourg. Comment un jeune capitaine de dragons, obscur et sans fortune, parvint-il à contracter une alliance « qui n’eût pas, comme il l’a dit lui-même[1], déshonoré nos rois ? » C’est là un mystère étrange que rien n’explique, et sur lequel personne n’a jeté le moindre jour. M. de Favras était beau et jeune, spirituel et brave ; il avait la parole vive, le cœur entreprenant ; faut-il croire à un de ces épisodes romanesques dont les officiers de notre armée ont été plus d’une fois les héros, surtout en Allemagne ? Les hasards d’une garnison ou d’un billet de logement, qui ont noué tant d’intrigues passagères, furent-ils le début d’une liaison dont le dénoûment devait être si sérieux et si grave ? On l’ignore ; mais tout porte à le croire. Le soin que prennent M. et Mme de Favras de ne faire jamais allusion à cet événement de leur jeunesse, la discrète réserve de leurs amis, le silence absolu du prince d’Anhalt, que l’autorité de la justice put seule forcer à reconnaître le mariage de sa fille, et qui ne consentit à payer sa dot que sur un jugement du conseil aulique[2], enfin l’esprit indépendant et la vive imagination de la marquise de Favras qui se révèleront dans la suite, confirment cette conjecture. Ce qu’il y a de certain, c’est que la princesse Caroline d’Anhalt vivait dans une situation exceptionnelle et malheureuse ; elle avait embrassé, en dépit de sa famille, la religion catholique, et cet acte qui, chez une jeune fille, indique assurément un caractère résolu, avait été, suivant M. de Favras, l’origine « des adversités qui la tenaient éloignée de son père[3]. »

  1. Testament du marquis de Favras.
  2. Voici le texte de ce jugement du 21 novembre 1776 : « On décerne rescript contre M. le prince d’Anhalt Bernbourg-Shaumbourg, de la teneur suivante :
    « L’impétrante ayant suffisamment prouvé qu’elle est issue d’un mariage légitime, et ayant affirmé qu’elle n’avait reçu aucune dot jusqu’à présent, sa majesté impériale ordonne à M. le prince d’Anhalt de payer à l’impétrante une somme annuelle de mille florins, et cela par anticipation de six mois en six mois, à commencer de la date de la présente ordonnance, jusqu’à ce que ledit prince ait accordé une dot suffisante, ou qu’en justice on aura déterminé une dot convenable à la suppliante. Sa majesté ordonne en outre à M. le prince de prouver, dans le terme de deux mois, de quelle manière il a satisfait à cette ordonnance, et comment il pense la remplir à l’avenir. »
  3. Testament de Favras. — Il existe dans les archives de la police, où il nous a été permis de puiser, une lettre anonyme datée du 23 décembre et adressée au chevalier de Pio, qui explique tout différemment ce mariage. À vrai dire, cette lettre sans signature, écrite deux jours après l’arrestation de M. de Favras, ne mérite aucune confiance. Elle est pleine de mensonges lâches et de calomnies que rien ne justifie, mais elle donne sur le mariage de M. de Favras une version qui semble assez vraisemblable. D’après cette pièce, Mme de Favras était fille du prince d’Anhalt et de la fille d’un major de place hollandais. Comme son père était mineur, et que sa mère se conduisit mal, leur mariage fut cassé juridiquement en Hollande. Le prince de Soubise avait donné asile au Luxembourg à cette jeune mère abandonnée, et sa fille, qu’elle gardait avec elle, lui avait fait, à sa majorité, des sommations respectueuses pour épouser M. de Favras.