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la position qu’il occupait, et, l’épée à la main, il chargea les indépendans. Il fut blessé et fait prisonnier ; les autres généraux, Valdès, Cantarac, Bonet, capitulèrent ; plus de la moitié de l’armée n’avait pas tiré un coup de fusil. L’on a beaucoup parlé et l’on parle chaque jour en Amérique de la bataille d’Ayacucho : les Espagnols accusent un de leurs chefs d’avoir trahi, mais ce fut un de ceux qui ne quittèrent pas un instant le champ de bataille, et il avait donné de nombreuses preuves de sa loyauté. La veille de l’action, il s’opposa vivement aux idées du vice-roi, l’exécution du plan de Lacerna devait amener presque nécessairement la perte de la bataille. Sur le lieu même de l’action, on se voit forcé d’attribuer la défaite des Espagnols aux détestables dispositions prises par le vice-roi. Au reste, le gain de cette bataille n’eût fait triompher que momentanément la cause espagnole. Le premier cri d’indépendance avait été trop hautement jeté, trop d’individus étaient compromis dans cette nouvelle cause, pour ne pas la soutenir jusqu’à la fin. Bolivar, toujours infatigable, préparait déjà une nouvelle armée pour remplacer l’armée qui pouvait être détruite à Ayacucho. La bataille livrée dans la plaine d’Ayacucho a eu cela d’heureux, qu’elle a arrêté l’effusion du sang, qui aurait pu couler long-temps encore, mais sans résultat pour l’Espagne. La bataille fut dite d’Ayacucho, du nom du village Voisin de la plaine. Guamanga fut baptisé Ayacucho, ainsi que le département dont cette ville était le chef-lieu. Aux termes de la capitulation, l’armée espagnole devait être embarquée à ses frais et renvoyée en Espagne ; les autorités espagnoles pouvaient également profiter du bénéfice de la capitulation et quitter le Pérou sans être molestées ; quant aux Indiens des deux armées, ils désertèrent après la bataille peu leur importait la cause des blancs, leurs ennemis ; ils avaient été enrôlés par force, ils s’étaient battus parce que les blancs, leurs maîtres, leur avaient dit de se battre ; ils savaient que, sous le roi comme sous la loi, ils seraient toujours serfs, et ils ne réclamèrent pas la promesse qu’on leur avait faite de les exempter du tribut. Ce tribut fut augmenté d’une piastre, ils ne s’en plaignirent pas davantage ; seulement, quand, après l’action, on vint pour ramasser les fusils, quatre mille avaient disparu du champ de bataille.

De Cusco à Guamanga, j’avais traversé la plus belle et la plus curieuse partie du Pérou ; j’avais pu comparer, chemin faisant, la civilisation des Incas dont les monumens du Cusco et les ruines de Choquiquirao m’avaient donné une haute idée, la barbarie indienne représentée par les sauvages Antis, avec les mœurs demi-espagnoles, demi-américaines des habitans du Bas-Pérou. De Guamanga à Lima, je traversai des campagnes où les richesses métalliques alternent avec les produits d’une végétation qui rappelle tous les climats. En arrivant dans la capitale du Pérou, je cherchai à m’expliquer l’impression de tristesse qui