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curés avec les Indiens. L’un des impôts volontaires les plus productifs pour les curés, c’est l’alferage des Indiens. L’Indien ne comprend pas clairement l’idée de Dieu ; mais il est facilement frappé par la vue d’un saint peint en rouge et or, et il se met sous sa protection, à laquelle il a recours dans toutes les tribulations qui lui surviennent. Arrive le jour de la fête de ce saint, et, pour la célébrer dignement, le curé crée l’Indien alferez, c’est-à-dire porte-bannière de la fête. À ce titre, l’Indien doit payer grand’messe, sermon, procession, cire, etc., de plus faire des cadeaux au curé et à sa famille, puis traiter les assistans et les griser d’eau-de-vie et de chicha. Un Indien mange dans ce glorieux jour le fruit de ses économies de dix ans. Si un Indien refuse l’honneur de l’alferage, le curé le lui impose, et il faut qu’il accepte.

D’après les règlemens ecclésiastiques du Pérou, les curés sont tenus de faire chaque dimanche le catéchisme aux enfans de leur paroisse. Pour rester fidèle à la lettre de son devoir et se dispenser des ennuis de l’enseignement, le curé dresse quelque vieil indien estropié à chanter sur un ton nasillard le catéchisme, arrangé par demandes et par réponses. Tous les dimanches, l’Indien s’asseoit au milieu de la petite congrégation, et commence ses lamentables interrogations, auxquelles les enfans apprennent à répondre. C’est là toute l’instruction religieuse. En échange, chaque enfant apporte au curé un œuf, une livre de laine, un fagot de broussailles, un paquet d’herbe pour ses mules. La femme du curé, car les prêtres virent publiquement en concubinage et élèvent leurs enfans dans le presbytère, fait travailler à son profit les femmes du village : à l’une, elle donne du coton à filer ; à l’autre, de la toile à tisser ; une troisième est chargée de soigner des poulets, etc.

De Larès, pour éviter de suivre la route ordinaire, qui m’aurait fait passer de nouveau par la vallée d’Urubanba, je traversai deux nevaos, et, pendant plus de six heures, me trouvai au milieu des neiges, qui heureusement étaient assez dures pour que les mules pussent y trouver un point d’appui solde. Après trois jours de marche, j’arrivai à Huayru, hacienda d’un Péruvien élevé à Paris, qui avait quitté la France depuis une année seulement. Mon hôte bénissait et maudissait à la fois la tendresse mal éclairée de ses pareils, qui lui avait fourni l’occasion d’entrevoir la délicieuse civilisation parisienne, pour le rappeler ensuite et le mettre à la tête d’une hacienda de sucre et de coca dans la vallée de Santa-Anna, au fin fond du Pérou. Il me pressa de passer vingt-quatre heures chez lui ; le lendemain était la fête de saint Antoine, patron de l’hacienda, et tous les métis ou indiens des environs devaient s’y réunir. Je n’eus garde de refuser.

Le lendemain matin, nous fûmes éveillés par le branle des cloches et le bruit des boîtes et pétards. Quatre reposoirs étaient élevés dans la cour de l’hacienda. Le curé dit la messe dans la chapelle, et sortit avec