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mier jour de la procession, ils se glissèrent dans la foule et firent une assez abondante moisson de boucles arrachées aux oreilles des enfans, — les Hindous les traînent partout avec eux, — de menues monnaies et de mouchoirs de soie. On ne songeait guère à les surveiller ni à se prémunir contre leurs tentatives hardies. À ce moment-là, les péons de la police n’étaient plus que de fervens Hindous inclinés sous le regard hautain de l’idole. Une seule personne pensait à ces bohémiens c’était Padmavati. Au milieu d’un groupe où l’on se poussait, où des enfans foulés aux pieds criaient comme des chats dont on écrase la patte, elle vit distinctement la vieille kouravar son ennemie se glisser tête baissée et faire une trouée ; elle s’élança pour la saisir en appelant au voleur, mais la rusée bohémienne coula dans la foule comme une couleuvre entre les pierres ; puis il se fit une violente poussée, et Padmavati se trouva au milieu d’un cercle de gens ébahis qui la montraient an doigt et s’éloignaient d’elle en l’accusant de jeter le désordre dans les groupes pour commettre quelque méchante action. Honteuse de ces imputations déshonorantes, Padmavati se promit bien de ne plus se risquer seule parmi ces rassemblemens tumultueux. Pendant plusieurs jours, elle eut la force de résister au désir qui la portait presque invinciblement à chercher son ennemie dans la ville. N’avait-elle pas acquis la certitude que la Kouravar était dans les environs ? Son enfant était donc là, près d’elle, à sa portée, et ne savait-elle pas aussi qu’un matin la tribu errante se remettrait en route pour ne plus revenir peut-être ? Ces diverses pensées la tourmentaient nuit et jour ; elle était dans un état d’agitation et d’inquiétude qui n’échappait point à son mari. Quand elle tombait dans ses rêveries, quand, en proie à des distractions qui lui faisaient oublier les soins du ménage, elle laissait passer l’heure du repas sans préparer le riz, Pérumal la regardait tristement et disait avec plus de chagrin encore que de colère : — Les voisins ont raison, elle a perdu la tête ! — Et il s’asseyait dans un coin, attendant avec patience que sa femme eût achevé la besogne attardée. Un incident assez étrange qui eut lieu peu de temps après le confirma dans l’idée que l’intelligence de Padmavati s’affaiblissait par degrés.

Tandis que les païens se livraient aux manifestations extravagantes de leur culte, les chrétiens se préparaient par le jeûne et la prière aux solennités de Pâques. Le grand jour du vendredi saint arriva. Partout où le catholicisme est établi dans l’Inde, on le célèbre avec une pompe particulière, et il devient ainsi comme une fête immense à laquelle tous les indigènes prennent part, quelle que soit d’ailleurs la religion qu’ils professent. Dès que l’office du matin est terminé, le tabernacle restant vide et ouvert, on laisse la foule assiéger les abords de l’église. La grande place plantée de tulipiers à fleurs jaunes qui conduit au couvent